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LETTRES ECRITES AVANT l'EPISCOPAT.

Sainteté, à peu de chose près comme si c’était avec vous-même. Les paroles me manquent pour vous supplier de m’obtenir cela du saint vieillard. Les gens d’Hippone ne supporteraient pas que je misse entre eux et moi une longue distance ; ils ne veulent pas se fier assez à moi pour me permettre de voir le champ que votre prévoyante libéralité a donné à nos frères, comme je l’ai appris, avant la réception de votre lettre, par notre saint frère et collègue Parthénius ; il m’a apporté aussi beaucoup d’autres nouvelles que je désirais savoir. Le Seigneur permettra que ce qui nous reste à désirer s’accomplisse.

LETTRE XXIII.


(Année 392.)

Saint Augustin s’adresse à Maximin, évêque donatiste, qu’on accusait d’avoir rebaptisé un diacre catholique ; il lui demande des explications à cet égard et l’invite à des conférences de vive voix ou par lettres. Son langage respire le désir de la paix, l’ardent amour de l’unité et de la vérité, et parfois s’élève jusqu’à l’éloquence.

AUGUSTIN, PRÊTRE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE, A SON TRÈS-CHER SEIGNEUR ET VÉNÉRABLE FRÈRE MAXIMIN, SALUT EN NOTRE SEIGNEUR.

1. Avant d’en venir à l’objet de ma lettre, je vous rendrai brièvement compte de son titre, afin que ni vous ni personne n’en soyez troublés. J’ai dit d’abord à mon seigneur parce qu’il est écrit : « Vous êtes appelés, mes frères, à un état de liberté : ayez soin seulement que cette liberté ne vous serve pas d’occasion pour vivre selon la chair ; mais assujettissez-vous les uns aux autres par une charité spirituelle[1]. » Comme c’est un charitable désir de vous rendre service qui m’inspire cette lettre, ce n’est pas hors de propos que je vous appelle seigneur pour notre unique et vrai Seigneur qui nous a donné ces préceptes. J’ai écrit : au très-cher, et Dieu sait que non-seulement je vous aime, mais que je vous aime comme moi-même, car j’ai la conscience de vous souhaiter tous les biens que je me souhaite. Lorsque j’ai ajouté le mot : honorable, je ne l’ai pas fait par respect pour votre caractère d’évêque ; vous n’êtes pas un évêque pour moi ; ne prenez pas ceci pour un outrage, c’est ma pensée sur mes lèvres, c’est le oui ou le non recommandé[2]. Vous n’ignorez point, et tous ceux qui nous connaissent n’ignorent point que vous n’êtes pas plus mon évêque que je ne suis votre prêtre. Je vous ai de bon cœur appelé honorable, parce que vous êtes homme, parce que l’homme est créé à l’image de Dieu et à sa ressemblance, et qu’il occupe dans l’univers un rang d’honneur, si toutefois il le garde en comprenant ce qu’il faut comprendre. Car il est écrit : « L’homme, tandis qu’il était en honneur, ne l’a point compris ; il a été comparé aux bêtes qui n’ont aucune raison, et il leur est devenu semblable[3]. » Pourquoi donc ne vous appellerais-je pas honorable en tant que vous êtes homme, surtout quand je n’ose désespérer de votre salut et de votre conversion, pendant que vous êtes encore dans cette vie ? Quant à ce nom de frère que je vous donne, vous savez bien que Dieu nous ordonne d’appeler nos frères ceux-là même qui refusent de l’être. Et ceci va droit à l’objet de cette lettre que j’adresse à votre Fraternité ; je vous ai rendu compte des mots par où elle commence, écoutez tranquillement ce qui va suivre.

2. Comme je m’exprimais un jour aussi sévèrement que possible sur la triste et déplorable coutume des gens de ce pays qui se disent chrétiens, de rebaptiser des chrétiens, vous ne manquâtes pas d’amis qui dirent à votre louange que vous ne faisiez rien de pareil. J’avoue que je commençai d’abord par ne pas le croire. Considérant ensuite que la crainte de Dieu pouvait saisir une âme humaine occupée de la vie future, et la détourner de ce qui est si évidemment un crime, je le crus, et vous félicitai d’avoir voulu par là ne pas trop vous éloigner de l’Église catholique. Je cherchais une occasion de parler avec vous, afin d’effacer, si c’était possible, le petit désaccord qui restait entre nous, lorsque, il y a peu de jours, on m’annonça que vous aviez rebaptisé notre diacre de Mutugenne[4]. Je fus violemment affligé et de la malheureuse chute de ce diacre et de votre crime si imprévu, ô mon frère Je sais ce que c’est que l’Église catholique : les nations sont l’héritage du Christ, et son royaume n’a pour limites que les limites de la terre. Vous le savez, vous aussi, et, si vous l’ignorez, apprenez-le ; cela est facile

  1. Gal. V, 13.
  2. Matth. V, 37.
  3. Psaume XLVIII, 21.
  4. L’emplacement précis de Mutugenne ne nous est pas connu, mais c’était évidemment dans le voisinage d’Hippone. On sait que les restes d’Hippone se trouvent à un quart de lieue de la villa de Bône. Voyez notre Voyage en Algérie (Études africaines), chap. XI.