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LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

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qu’un, dans une pensée religieuse, veut offrir de l'argent, il y a des pauvres pour le rece- voir. C'est ainsi que le peuple n'aura pas l'air d'abandonner les morts qui lui sont chers, ce qui ne serait pas une petite douleur de cœur, et l'Eglise ne verra plus rien qui ne soit pieux et honnête.

En voilà assez pour les festins et les ivro- gneries.

7. Est-ce bien à moi qu'il appartient de par- ler de contestations et de fourberies, quand ces vices se rencontrent bien plus considérables dans nos rangs que parmi le peuple? L'orgueil et le désir des louanges humaines enfantent ces maladies et enfantent aussi l'hypocrisie. . On n'y résiste qu’en imprimant dans son âme la crainte et l'amour de Dieu par la méditation assi- due des livres divins ; pourvu cependant que ce- lui qui les combat soit lui-même un exemple de patience et d'humilité et prenne pour lui moins qu'on ne lui donne; il ne doit pas repousser toutes les marques d'honneur ni les recevoir toutes; ce qu’il aura accepté de louanges ne sera pas pour lui-même, car il sera tout en Dieu et méprisera toutes les choses humaines, mais ce sera pour ceux sur lesquels il est chargé de veiller et qu'il ne pourrait utilement conduire s'il s’avilissait dans un trop profond abaissement. Il a été dit : « Que personne ne «vous méprise à cause de votre jeunesse , » et il a été dit aussi : « Sije voulais plaire « aux hommes, je ne serais pas serviteur du « Christ ?. »

8. C'est une grande chose de ne pas se ré- jouir des hommages et des louanges des hom- mes, mais de retrancher toute pompe vaine, et de rapporter à l'utilité et au salut de ceux qui nous honorent ce qu’on croit devoir con- server d'éclat autour de soi. Ce n’est pas en vain qu'il a été dit : « Dieu brisera les os de «ceux qui veulent plaire aux hommes ?. » Qu'y a-t-il de plus languissant, de plus dénué de cette fermeté et de cette force, représentées par les os, qu'un homme qui chancelle sous le coup de mauvais propos dont il sait lui-même la fausseté? Une douleur de ce genre ne se- rait pas capable de déchirer les entrailles de l’âme, si l'amour de la louange ne nous avait pas brisé les os. Je connais d'avance la vi- gueur de votre esprit; ce que je vous dis, je me le dis à moi-même; daignez considérer combien ces choses sont graves, combien

  1. 1 Tim. 1v, 12. — * Gal. 1, 10. — * Psaume Lu, 7.

LETTRES DE SAINT AUGUSTIN. — PREMIÈRE SÉRIE.

elles sont difficiles. Les forces de cet ennemi ne sont connues que de Celui qui lui a déclaré la guerre : on se console aisément de manquer de louanges quand on nous en refuse, mais il est difficile de ne pas se délecter à celles qu'on nous donne. Telle doit être cependant notre union accoutumée avec Dieu, que, sion nous loue sans raison, il faut reprendre ceux qui nous louent, de peur de leur laisser croire qu'il se trouve en nous ce qui n’y est pas, que ce qui vient de Dieu est notre fonds propre, ou de peur qu’on ne loue en nous des choses qui s'y rencontreraient en réalité, même abon- damment, mais qui ne seraient pas dignes de louanges, comme par exemple tous ces biens que nous possédons en commun avec les bêtes ou avec les hommes sans religion. Si on nous loue à bon droit pour Dieu, félicitons-en ceux à qui plait le vrai bien, et ne nous glorifions pas nous-mêmes de plaire aux hommes, mais seu- lement si nous sommes devant Dieu tels qu’on nous croit ; ce n’est pas à nous que doit être attri- bué le bien, mais à Dieu : toutes les choses véri- tablement dignes de louanges sont des dons partis de sa main. Voilà ce que je me redis chaque jour ou plutôt ce que me dit celui dont les enseignements sont salutaires, soit que nous les trouvions dans les divins livres, soit qu'ils nous soient inspirés intérieurement. Et cependant, malgré la vivacité de ma lutte con- tre l'ennemi, j'en reçois souvent des blessures quand je ne puis fermer mon cœur au plaisir d'une louange qui m'est adressée.

9. J'ai écrit ces choses afin que, si elles ne sont pas nécessaires à votre Sainteté, soit parce que la méditation vous en aura fourni de meilleures et en plus grand nombre, soit parce que votre Sainteté n’a pas besoin de ce remède, vous connaissiez mes maux et vous sachiez ce qu’il faut demander à Dieu pour ma faiblesse : accordez-moi, je vous en conjure, cette grâce au nom de la bonté de Celui qui nous a or- donné de porter les fardeaux les uns des au- tres. Que d'autres choses de ma vie et de ma conduite je déplorerais dans un entretien avec vous et que je ne voudrais pas vous dire par lettres! je vous les confierais si, entre mon cœur et le vôtre, il n’y avait que ma bouche et vos oreilles. Mais si notre vénérable et très- cher Saturnin, dont j'ai pu voir le zèle et l’af- fection pour vous, daignait venir vers moi quand il jugera le moment favorable, je pour- rais converser affectueusement ayec sa Sain-