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chapitre septième.

accomplis. Augustin tourna contre eux ses armes, ou plutôt, pour arriver à la victoire, il n’eut qu’à tracer d’un côté le tableau fidèle des doctrines et des mœurs catholiques, et de l’autre le tableau réel des mœurs des manichéens. C’est ce qu’il fit dans les deux livres dont nous allons parler. Le premier de ces livres, celui des Mœurs de l’Église catholique nous occupera particulièrement ; il a une valeur indépendante des circonstances qui l’ont produit ; il est aussi intéressant aujourd’hui qu’il l’était il y a quatorze siècles ; c’est un monument dont l’importance durera autant que l’Église catholique.

Le livre est divisé en trente-cinq chapitres.

La mansuétude d’Augustin éclate dès le commencement de l’ouvrage. Quoique les dérèglements des manichéens lui soient connus, il les traitera avec douceur : « Je cherche, dit-il, à les guérir et non pas à les affliger. » Les manichéens ne veulent pas de l’Ancien Testament ; l’auteur ne s’appuiera donc que sur le Nouveau, et même sur les seules parties de l’Évangile acceptées par eux. Quand il citera un passage des apôtres, il reproduira un passage tout semblable tiré de l’Ancien Testament, et les manichéens verront de la sorte que les Écritures, contre lesquelles se sont amoncelés les flots de leur haine, sont celles de Dieu et de Jésus-Christ.

Dans les instructions qui regardent le salut, l’autorité doit marcher avant la raison. L’autorité tempère l’éclat de la vérité par quelque chose de plus accessible à l’homme et de plus proportionné à la faiblesse de ses yeux. Cependant les manichéens ne souffrant pas qu’on leur parle d’abord d’autre chose que de la raison, Augustin se conformera à leur marche quoique mauvaise. « Je suis bien aise, dit-il, d’imiter, autant que j’en suis capable, la douceur de Jésus-Christ mon Sauveur, qui, pour nous délivrer de la mort, a daigné s’y soumettre, et se charger ainsi du mal même dont il voulait nous affranchir. »

L’homme est corps et âme, et sur la terre, l’un n’existe pas sans l’autre ; tous les deux aspirent au bonheur. La perfection de l’âme aide au bonheur du corps, parce que le corps ne se trouve jamais mieux que si l’âme qui l’habite est paisible et réglée. La félicité de l’âme, ce sera d’atteindre au plus haut point possible de perfection et de sagesse. Lorsque l’âme veut devenir meilleure, elle tend vers quelque chose qui n’est pas elle, qui est hors d’elle : cette chose, différente d’elle-même, et qui peut lui donner une plus grande perfection morale, c’est Dieu ! la vertu, c’est ce qui mène à Dieu ; on devient vertueux par l’énergique volonté de se porter vers Dieu. Mais comment nous porter vers Dieu sans le voir ? et comment le voir avec nos yeux faibles et corrompus ? La raison, qui a pu nous conduire jusqu’ici, n’a plus rien à nous répondre ; elle est impuissante à pénétrer les choses divines. Mais voici l’autorité : Dieu lui-même a daigné parler dans son amour pour les hommes. Que notre faible raison se taise, quand c’est Dieu même qui nous parle.

La possession de Dieu sera la possession du souverain bien. Il est un précepte qui dit : « Vous aimerez le Seigneur de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit. » L’observation de ce précepte est un acheminement vers la félicité infinie. Posséder Dieu, ce n’est pas être fondu en sa substance, de sorte qu’on ne fasse plus qu’un avec lui, c’est être plus près de Dieu ; c’est être éclairé, environné, pénétré de sa vérité et de sa sainteté éternelles.

Augustin établit la conformité de l’Ancien et du Nouveau Testament ; puis, s’adressant aux manichéens, il leur dit :

« Je pourrais, selon la médiocrité de mes lumières et de mes forces, discuter en détail toutes les paroles que je viens de rapporter, et vous exposer ici ce que Dieu m’a fait la grâce d’apprendre des merveilles qu’elles renferment, merveilles dont l’expression demeure souvent au-dessus de la faiblesse du langage. Mais il faut bien s’en garder, tant que vous serez en disposition d’aboyer contre les divins livres. L’Évangile nous défend de présenter les choses saintes aux chiens. Ne vous offensez pas si je vous parle ainsi : j’aboyais autrefois moi-même ; j’ai été de ces chiens dont parle l’Évangile[1], etc. »

Un peu plus bas, Augustin dit aux manichéens :

« Ah ! si vous vouliez chercher dans l’Église catholique ceux qui sont le mieux instruits de sa doctrine ; si vous vouliez les écouter comme je vous ai écoutés durant les neuf ans où, me tenant dans l’erreur, vous vous êtes joués de ma crédulité, vous seriez vite désabusés, et vous comprendriez la différence qu’il y a entre

  1. Chap. 18.