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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

mère on offrit pour elle le sacrifice de la rédemption. Mais durant toute la journée la tristesse qu’il renfermait au fond du cœur l’accablait. Il conjurait le Seigneur de le tirer d’un état si douloureux, et le Seigneur ne l’écoutait point. Augustin eut l’idée d’aller au bain ; il avait ouï dire que les Grecs l’avaient appelé balaneion, parce que le bain dissipait les inquiétudes de l’esprit. Mais il en sortit tout aussi affligé qu’auparavant. Quand vint l’heure du sommeil, il s’endormit. À son réveil, il crut reconnaître que sa douleur avait perdu de sa puissance. Toutefois, bientôt ramené à ses premières pensées sur cette mère qui venait de le quitter, et repassant sa vie de religion et de tendre dévouement il trouva doux de répandre ses larmes devant Dieu, de les répandre à cause d’elle et pour elle, à cause de lui et pour lui à qui une grande consolation sur la terre était tout à coup ravie. Augustin laissa donc couler librement des pleurs qu’il avait retenus jusque-là ; il les laissa couler dans toute leur abondance, et se sentit le cœur soulagé. Saint Augustin confesse[1] ces choses devant Dieu, et demande qu’on lui pardonne d’avoir pleuré quelques instants sa mère morte, elle qui, durant tant d’années l’avait pleuré pour le faire vivre en Dieu. Il pria pour sa mère, qui n’ordonna point qu’on ensevelît son corps dans de riches étoffes, ni qu’on l’embaumât avec des aromates précieux ; pour sa mère, qui ne désira point d’avoir un tombeau magnifique, ni d’être transportée dans le tombeau qu’elle-même s’était préparé à côté du sépulcre de son époux au pays natal ; Monique n’avait recommandé à son fils que de se souvenir d’elle à l’autel du Seigneur !

Au milieu des colonnes et des débris de l’ancienne ville d’Ostie, on rencontre aujourd’hui une chapelle qui, d’après la tradition, marque la place de la maison occupée par Monique et Augustin. Ce lieu est glorieux et saint ; il entendit l’entretien séraphique de la mère et du fils, vit mourir l’admirable femme, et fut témoin du deuil religieux d’Augustin, de son frère et de ses amis.

Sainte Monique a pris rang parmi les plus illustres mères. La mémoire humaine garde son nom avec vénération et gratitude. Il est permis de penser que, sans les larmes et la tendresse religieuse de Monique, l’Église catholique n’aurait pas eu le grand Augustin. Elle fut sa mère dans la foi après l’avoir été dans la vie naturelle : les pleurs de Monique et ses hautes vertus enfantèrent Augustin à la vie chrétienne. Parmi les grands hommes, ceux qui ont fait le plus de bien au monde avaient le cœur façonné à l’image du cœur de leur mère. Quand le génie se rencontre dans la tête d’un homme qui a sucé le lait d’une bonne mère et reçu d’elle les premiers enseignements, ne craignez point que ce génie devienne un fléau pour les sociétés : il en sera toujours la consolation et la lumière. Les plus saintes et les plus sublimes choses de la terre ont leurs germes dans les cœurs maternels. Tant qu’il restera une mère avec quelque rayon du ciel dans l’âme, il ne faudra pas désespérer des destinées d’un pays.




CHAPITRE SEPTIÈME.




Saint Augustin se rend de nouveau à Rome. — Son retour en Afrique. — Le livre de la Grandeur de l’âme. — Le livre des Quatre-vingt-trois questions. — Les livres des Mœurs de l’Église catholique et des Mœurs des manichéens.

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Nous ne savons pas comment la mort de Monique changea les projets d’Augustin, et pourquoi il se rendit à Rome au lieu de s’embarquer pour l’Afrique. La mort de sa mère est le dernier fait que saint Augustin nous ait raconté dans les Confessions ; la correspondance contemporaine ne nous apprend rien sur ce retour dans la grande métropole. Augustin passa près d’un an à Rome et employa tout ce temps au travail. Depuis son baptême, Au-

  1. Livre IX, ch. 12.