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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

fils un mémorable entretien qu’on ne se lassera jamais d’entendre. Monique et Augustin, cherchant ensemble quel serait le bonheur des saints dans l’éternité, s’élèvent du monde matériel au monde invisible, avec des ailes que le souffle de Dieu semble soutenir. Ils reconnaissent ce qu’il y a d’incomplet, de méprisable et de vain dans les joies et les voluptés matérielles, de quelque éclat de beauté que l’imagination puisse les revêtir ; ensuite, s’élançant vers la félicité immuable, la mère et le fils traversent tous les objets du monde physique, la voûte où resplendissent les astres et d’où s’échappe la lumière pour les hommes ; enfin, passant par les régions de l’âme, ils parviennent à la hauteur sublime, éternelle, où réside la sagesse, où réside la beauté, où réside ce qui est. Saint Augustin nous a laissé un résumé de cet entretien[1] ; son historien ne peut pas le passer sous silence, quoique ce morceau d’un charme infini et d’une saisissante profondeur soit connu de tous les gens instruits. Nous traduisons

« À peu de distance de ce jour où ma mère devait sortir de cette vie, jour que vous connaissiez, mais que nous ignorions, il était arrivé, par un effet de vos vues secrètes, comme je le crois, qu’elle et moi, nous nous trouvions seuls appuyés à une fenêtre, donnant sur le jardin de la maison qui était notre demeure à Ostie, à l’embouchure du Tibre, et dans laquelle, séparés de la foule, après la fatigue d’un long voyage, nous nous préparions à nous remettre en nier : nous parlions donc là seuls, avec une douceur ineffable ; oubliant le passé, occupés de l’a« venir, nous cherchions entre nous, auprès de cette vérité qui est vous-même, quelle devait être l’éternelle vie des saints, que l’œil n’a point vue, que l’oreille n’a point entendue, et qui n’est jamais montée dans le cœur de l’homme. Nous ouvrions la bouche du cœur pour recevoir les célestes eaux de cette fontaine de vie qui est en vous, afin qu’en étant inondés selon notre mesure, nous comprissions de quelque manière une aussi grande chose.

« Comme la conclusion de notre entretien était que le plaisir des sens dans la plus splendide lumière corporelle n’était pas digne d’être comparé aux joies de l’autre vie, ni même d’être rappelé en leur présence, nous montions avec le plus ardent amour vers les félicités immortelles, parcourant successivement tous les objets corporels, et le ciel lui-même, d’où le soleil, la lune et les étoiles brillent sur la terre. Et nous montions toujours, pensant en nous-mêmes, parlant ensemble, admirant vos ouvrages ; et nous arrivâmes à nos âmes, et nous les traversâmes pour atteindre à cette région d’inépuisable fécondité où vous nourrissiez de vérité Israël éternellement, où la vie est la sagesse, par laquelle se font toutes les choses, celles qui ont été et celles qui doivent être ; et elle-même n’a point été faite, mais elle est comme elle a été et comme elle sera toujours ; ou plutôt elle n’a pas été et ne sera point, mais seulement elle est, parce qu’elle est éternelle, car avoir été et devoir être, ce n’est pas être éternel. Et tandis que nous parlons et que nous nous ouvrons à cette haute région, nous la touchons un peu de tout l’élan de notre cœur ; et nous avons soupiré, et nous avons laissé là les prémices de l’esprit, et nous sommes revenus au bruit de nos lèvres où la parole commence et s’achève. Quelle parole est semblable à votre verbe Notre-Seigneur qui demeure en lui-même sans vieillir, et qui renouvelle toutes choses ?

« Nous disions donc : S’il y avait un homme pour qui fissent silence les mouvements de la chair, les images de la terre, des eaux et de l’air, les pôles et l’âme elle-même ; un homme qui s’isolât de sa propre pensée, et pour qui cessassent d’exister les songes et les rêveries de l’imagination, toutes les langues et tous les signes, tout ce qui passe ; s’il pouvait fermer l’oreille à tout, car, s’il écoute, toutes ces choses lui diront : Nous ne nous sommes pas faites nous-mêmes, mais celui-là nous a faites, qui demeure éternellement : ces paroles dites, si elles se taisaient après avoir porté l’oreille de l’homme vers celui qui les a créées, et que le Créateur seul parlât, non point au moyen de ses créatures, mais par lui-même ; non point par la langue de la chair, ni par la voix d’un ange, ni par le bruit du tonnerre, ni par paraboles ; si celui que nous aimons dans ses créatures se faisait entendre à nous sans elles, comme maintenant notre pensée rapide nous a emportés vers l’éternelle sagesse qui demeure au-dessus de toutes choses ; si cela se continuait et que s’effaçassent les autres visions

  1. Confess., liv. ix, chap. 10.