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les temps. Mais vous précédez les temps passés par l’éminence de votre éternité toujours présente ; vous dominez les temps à venir, parce qu’ils sont à venir, et qu’aussitôt venus, ils seront passés. « Et vous, vous « êtes toujours le même, et vos années ne s’évanouissent point ( Ps. CI, 28). » Vos années ne vont ni ne viennent, et les nôtres vont et viennent afin d’arriver toutes. Vos années demeurent toutes à la fois, parce qu’elles demeurent. Elles ne se chassent pas pour se succéder, parce qu’elles ne passent pas. Et les nôtres ne seront toutes, que lorsque toutes auront cessé d’être. Vos années ne sont qu’un jour ; et ce jour est sans semaine, il est aujourd’hui ; et votre aujourd’hui ne cède pas au lendemain, il ne succède pas à la veille. Votre aujourd’hui, c’est l’éternité. Ainsi vous avez engendré coéternel à vous-même Celui à qui vous avez dit : « Je t’ai engendré aujourd’hui (Ps. II, 7 ; Héb. V, 7). » Vous avez fait tous les temps, et vous êtes avant tous les temps, et il ne fut pas de temps où le temps n’était pas.

Chapitre XIV, Qu’est-ce que le temps ?

17. Il n’y a donc pas eu de temps où vous n’ayez rien fait, puisque vous aviez déjà fait le temps. Et nul temps ne vous est coéternel, car vous demeurez ; et si le temps demeurait, il cesserait d’être temps. Qu’est-ce donc que le temps ? Qui pourra le dire clairement et en peu de mots ? Qui pourra le saisir même par la pensée, pour traduire cette conception en paroles ? Quoi de plus connu, quoi de plus familièrement présent à nos entretiens, que le temps ? Et quand nous en parlons, nous concevons ce que nous disons ; et nous concevons ce qu’on nous dit quand on nous en parle.

Qu’est-ce donc que le temps ? Si personne ne m’interroge, je le sais ; si je veux répondre à cette demande, je l’ignore. Et pourtant j’affirme hardiment, que si rien ne passait, il n’y aurait point de temps passé ; que si rien n’advenait, il n’y aurait point de temps à venir, et que si rien n’était, il n’y aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et l’avenir, comment sont-ils, puisque le passé n’est plus, et que l’avenir n’est pas encore ? Pour le présent, s’il était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps ; il serait l’éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit s’en aller en passé, comment pouvons-nous dire qu’une chose soit, qui ne peut être qu’à la condition de n’être plus ? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce qu’il tend à n’être pas ?

Chapitre XV, Quelle est la mesure du temps ?

18. Et cependant nous disons qu’un temps est long et qu’un temps est court, et nous ne le disons que du passé et de l’avenir ; ainsi, par exemple, cent ans passés, cent ans à venir, voilà ce que nous appelons longtemps ; et, peu de temps : dix jours écoulés, dix jours à attendre. Mais comment peut être long ou court ce qui n’est pas ? car le passé n’est plus, et l’avenir n’est pas encore. Cessons donc de dire : Ce temps est long ; disons du passé : il a été long ; et : il sera long, de l’avenir.

Seigneur mon Dieu, ma lumière, votre vérité ne se moquera-t-elle pas de l’homme qui parle ainsi ? Car ce long passé, est-ce quand il était déjà passé qu’il a été long, ou quand il était encore présent ? En effet, il n’a pu être long que tant qu’il fut quelque chose qui pût être long. Mais, passé, il n’était déjà plus ; et comment pouvait-il être long, lui qui n’avait plus d’être ? Ne disons plus donc : Le passé a été long : car nous ne retrouverons pas ce qui a été long, puisque du moment où il passe, il n’est plus. Disons : Ce temps présent a été long, car il était long en tant que présent. Il ne s’était pas encore écoulé au non-être, il était donc quelque chose qui pouvait être long. Mais aussitôt qu’il a passé, aussitôt il a cessé d’être long, en cessant d’être.

19. Voyons donc, ô âme de l’homme, si le temps présent peut être long ; car tu as reçu la faculté de concevoir et de mesurer ses pauses.

Que vas-tu me répondre ? Est-ce un long temps que cent années présentes ? Vois d’abord si cent années peuvent être présentes. Est-ce la première qui s’accomplit ? elle seule est présente ; les quatre-vingt-dix--neuf autres sont à venir ; et, partant, ne sont pas encore. Est-ce la seconde ? il en est une déjà passée ; une présente ; le reste est futur. Ainsi de toute année que nous fixerons comme présente dans la révolution d’un siècle ; tout ce qui la devance est passé ; tout ce qui la suit est futur. Cent années ne sauraient donc être présentes. (479) Mais