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pacte sacrilège. Mais, ô Seigneur mon Dieu, à qui je dois le service du plus humble esclave, par quelles insinuations perfides l’ennemi ne me suggère-t-il pas de vous demander quelque miracle ? Et je vous conjure, par notre Roi, par notre patrie sainte, la chaste et pure Jérusalem, qu’un coupable consentement, jusqu’à présent éloigné de mon âme, s’en éloigne de plus en plus chaque jour. Mais quand je vous sollicite pour la santé d’un frère, le but de mes instances est bien différent ; vous faites comme il vous plaît, et vous me donnez la grâce, vous ne me la refuserez jamais, d’embrasser votre volonté.

57. Et cependant combien de bagatelles et de frivolités méprisables séduisent encore chaque jour notre curiosité ? Qui pourrait compter nos tentations et nos chutes ? Combien de fois souffrons-nous, par certaine condescendance pour les faibles, de vains récits que, peu à peu, nous écoutons avec plaisir ? Je ne vais plus au cirque voir un chien courir après un lièvre ; mais que le hasard dans le champ où je passe, m’en donne le spectacle, me voilà peut-être détourné d’une méditation profonde ; cette chasse inattendue m’attire ; elle ne m’oblige pas de tourner bride, mais de laisser courre mon cœur. Et si, en me donnant la preuve de ma faiblesse, vous ne m’inspirez aussitôt de ramener mon esprit de cette vue à une pensée qui m’élève jusqu’à vous, ou bien de passer outre avec mépris, je reste amusé de cette puérile distraction.

Que dis-je ? sans sortir de ma maison, un lézard, qui prend des mouches, une araignée, qui les enveloppe de ses fils, n’est-ce pas assez pour captiver mes yeux ? La petitesse de ces animaux diminue-t-elle donc l’action de ma curiosité ? Je passe de là à vous louer, Créateur, ordonnateur admirable de toutes choses ; mais cette fin n’était pas le principe de mon attention : autre chose est de se relever promptement ou de ne tomber jamais. Et toute ma vie est pleine de faux pas ; et la grandeur de votre clémence est mon unique espoir. Car, dès lors que notre âme, prostituée à ces vains objets, se remplit de conceptions frivoles, il arrive que nos prières sont souvent interrompues et troublées ; et en votre présence, la voix de notre cœur veut-elle monter jusqu’à vous, une irruption de pensées misérables, accourues je ne sais d’où, vient traverser un acte si important.

Chapitre XXXVI, Orgueil.

58. Et ceci, est-ce pure bagatelle dont il faille tenir peu de compte ? Et notre espérance peut-elle être ailleurs que dans la miséricorde bien connue, qui a commencé l’œuvre de notre conversion ?

Et vous savez à quel point vous m’avez changé, me guérissant d’abord de la passion de la vengeance, pour devenir secourable à mes autres iniquités, dissiper toutes mes langueurs, racheter ma vie de la corruption, pour me donner la couronne de grâce et de miséricorde, et prodiguer vos biens à la merci de mes désirs ( Ps. CIII, 3-5). Vous m’avez inspiré votre crainte, qui éteint l’orgueil, et apprivoisé ma tête à votre joug. Et je le porte aujourd’hui, et ce fardeau m’est doux ; vous me l’aviez promis, vous tenez votre promesse (Matth. XI, 30) et il était en effet léger, à mon insu, quand je craignais de m’y soumettre. Mais dites-moi, Seigneur, seul dominateur exempt d’orgueil, parce que vous êtes le seul Maître véritable, et qui n’en connaît point d’autre, dites-moi, suis-je délivré, ou pourrai-je l’être jamais dans cette vie, de ce troisième genre de tentation ?

59. Vouloir être craint et aimé des hommes, sans autre raison que le désir d’une joie qui n’est pas vraie, c’est une vie misérable, c’est une honteuse insolence. Et voilà pourquoi notre cœur est sans amour pour vous, et notre crainte sans pureté. Aussi, vous répandez sur les humbles la grâce que vous refusez aux superbes (I Pierre, V, 5) ; vous tonnez sur les ambitions du siècle, et les fondements des montagnes tremblent.

Or, comme l’intérêt de la société humaine y fait un devoir de l’amour et de la crainte, l’ennemi de notre véritable félicité nous presse, et par tous les pièges qu’il sème sous nos pas, il nous crie : Courage, courage ! Il veut que notre avidité à recueillir nous laisse surprendre ; il veut que nos joies se déplacent et quittent votre vérité pour se fixer au mensonge des hommes ; il veut que nous prenions plaisir à nous faire aimer et craindre, non pour vous, mais au lieu de vous. Et, nous rendant semblables à lui-même, il veut nous gagner, non pas à l’union de la charité, mais au partage de son supplice, lui qui a mis son trône sur l’aquilon, afin que vos coupables et difformes imitateurs