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Chapitre XXII, Dieu, unique joie du cœur.

32. Loin, mon Dieu, loin du cœur de votre serviteur humilié devant vous ; de trouver son bonheur en toutes joies ! Car il en est une refusée aux impies ( Isaïe, XLVIII, 22), connue de vos serviteurs qui vous aiment ; cette joie, c’est vous. Et voilà la vie heureuse, se réjouir en vous, de vous et pour vous ; la voilà, il n’en est point d’autre. La placer ailleurs, c’est poursuivre une autre joie que la véritable. Et cependant, la volonté qui s’en éloigne s’attache encore à son image.

Chapitre XXIII, Amour naturel des hommes pour la vérité ils ne la haïssent que lorsqu’elle contrarie leurs passions.

33. Tous les hommes ne veulent donc pas être heureux, car il en est qui, refusant de se réjouir en vous, seule vie bienheureuse, refusent leur félicité. Serait-ce plutôt que, malgré leur désir, les révoltes de la chair contre l’esprit, et de l’esprit contre la chair, les réduisent à l’impuissance de leur vouloir ( Galat. V, 17), les précipitent dans la faiblesse de leur force, dont ils se contentent, faute d’une volonté qui prête la force à leur faiblesse ?

Je leur demande à tous s’ils ne préfèrent pas la joie de la vérité à celle du mensonge. Et ils n’hésitent pas plus ici que pour la réponse à la question du bonheur. Car la vie heureuse c’est la joie de la vérité ; c’est la joie en vous, qui êtes la vérité ( Jean, XIV, 6), ô Dieu ! ma lumière, mon salut ( Ps. XXVI, 1), mon Dieu. Nous voulons tous cette vie bienheureuse, nous voulons tous cette vie, seule bienheureuse ; nous voulons tous la joie de la vérité.

J’en ai vu plusieurs qui voulaient tromper, nul qui voulût l’être. Où donc les hommes ont-ils pris cette connaissance du bonheur, si ce n’est où ils ont pris celle de la vérité ? car ils aiment la vérité, puisqu’ils ne veulent pas être trompés. Et ils ne peuvent aimer la vie heureuse, qui n’est que la joie de la vérité, sans aimer la vérité. Et ils ne sauraient l’aimer, si la mémoire n’en avait aucune idée.

Pourquoi donc n’y cherchent-ils pas leur joie, pour y trouver leur félicité ? C’est qu’ils sont fortement préoccupés de ces vanités qui leur créent plus de misères que ce faible souvenir ne leur laisse de bonheur. Il est encore une faible lumière dans l’âme de l’homme. Qu’il marche, qu’il marche, tant qu’elle luit, de peur d’être surpris par les ténèbres (Jean, XII, 31).

34. Mais d’où vient que la vérité engendre la haine ? D’où vient que l’on voit, un ennemi dans l’homme qui l’annonce en votre nom, si l’on aime la vie heureuse qui n’est que la joie de la vérité ? C’est qu’elle est tant aimée, que ceux même qui ont un autre amour veulent que l’objet de cet amour soit la vérité ; et refusant d’être trompés, ils ne veulent pas être convaincus d’erreur. Et de l’amour de ce qu’ils prennent pour la vérité vient leur haine de la vérité même. Ils aiment sa lumière et haïssent son regard. Voulant tromper sans l’être, ils l’aiment quand elle se manifeste, et la haïssent quand elle les découvre ; mais par une juste rémunération, les dévoilant malgré eux, elle leur reste voilée.

C’est ainsi, oui c’est ainsi que l’esprit, humain, dans cet état de cécité, de langueur, de honte et d’infirmité, prétend se cacher et que tout lui soit découvert ; et il arrive, au contraire, qu’il n’échappe pas à la vérité qui lui échappe. Et néanmoins dans cet état de misère, il préfère ses joies à celles du mensonge. Il sera donc heureux lorsque, sans crainte d’aucun trouble, il jouira de la seule Vérité, mère de toutes les autres.

Chapitre XXIV, Dieu se trouve dans la mémoire.

35. Ai-je assez dévoré les espaces de ma mémoire à vous chercher, mon Dieu ? et je ne vous ai pas trouvé hors d’elle ! Non, je n’ai rien trouvé de vous que je ne me sois rappelé, depuis le jour où vous m’avez été enseigné. Depuis ce jour, je ne vous ai pas oublié.

Où j’ai trouvé la vérité, là j’ai trouvé mon Dieu, la vérité même, alors connue, dès lors présente à ma mémoire. Et, depuis que je vous sais, vous n’en êtes pas sorti, et je vous y trouve toutes les fois que votre souvenir me convie à vos délices. Voilà mes voluptés saintes, don de votre miséricorde, qui a jeté un regard sur ma pauvreté. (462)