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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

que, maintenant dans le monde, il aperçoit des philosophes qui n’en ont plus que la robe ; il faut ramener à l’espoir de trouver la vérité ceux que pourraient égarer les subtilités des faux académiciens, sous peine de voir d’anciennes et habiles précautions servir de prétextes pour fermer les intelligences aux choses les plus certaines et les plus connues. Au temps des deux fondateurs de la seconde et de la troisième académie, les diverses vérités, ébranlées par la vigueur de leurs arguments, s’effaçaient des esprits pour faire place à des chimères ; il paraissait si difficile de ne pas confondre le vrai avec le faux que les maîtres aimaient mieux, aux yeux de la foule des hommes, se donner des airs de battre en brèche toute certitude ; mais le jeune solitaire de Cassiacum trouve qu’il n’y a plus à se préoccuper du danger des longs efforts pour arriver à la vérité ; il nous dit que ses contemporains qui se piquent de philosophie redoutent le travail, négligent les lettres et les sciences ; la prétendue impossibilité de découvrir la vérité qu’un homme comme Carnéade aurait déclarée, devient pour eux une justification de leur langueur et de leur ignorance ; ils se traînent dans un sommeil profond d’où rien ne peut les tirer, rien, pas même la trompette céleste des Écritures par laquelle Dieu nous fait entendre ses oracles. Augustin prie Hermogénien d’examiner soigneusement ce qu’il avance, vers la fin du troisième livre, contre les Académiciens, et de lui faire savoir ce qu’il en pense. Il ne se flatte pas d’avoir triomphé des Académiciens comme Hermogénien le lui annonce, mais il se sait bon gré de s’être arraché au désespoir de trouver la vérité, qui est la nourriture de l’esprit, et d’avoir rompu la chaîne qui l’empêchait de coller, pour ainsi dire, ses lèvres aux mamelles de la philosophie.

Cette lettre, dont nous avons reproduit toute la pensée, est un témoignage curieux pour les études contemporaines ; elle met en pleine lumière les intentions et les sentiments qui ont inspiré le Traité contre les Académiciens. Le jugement et les idées d’Hermogénien sont sollicités en termes qui honorent son intelligence ; sa réponse ne nous est point parvenue ; elle eût été pour nous une précieuse page de critique philosophique.

Zénobe, à qui sont adressés les deux livres de l’Ordre, aimait à s’en aller auprès de la jeune académie de Cassiacum, lorsque ses affaires ne le retenaient pas à Milan. Augustin lui écrit que l’amour de tout ce qui passe est une source d’erreurs et de peines, et qu’il faut élever l’esprit à l’étude, à l’adoration de ce qui est bon, vrai et beau par soi-même, de ce qui demeure éternellement. Il se plaint tendrement de l’absence de Zénobe. Quand son ami est loin, il désire son retour pour jouir de sa vue et de ses paroles et converser avec lui ; Zénobe ne pense assurément pas que cette peine de l’absence soit un travers dont il faille se guérir. Augustin ne se sent pas assez fort pour condamner ces tristesses du cœur. « Pour moi, dit-il, quand je regrette un ami absent, je veux bien aussi qu’il me regrette. » Augustin parle ici un langage qui semble avoir inspiré Montaigne dans ses peintures de l’amitié. Le fils de Monique voudrait reprendre avec Zénobe une question qu’ils ont commencé d’agiter ensemble dans les exercices philosophiques de leur retraite. Si cette question était celle de l’ordre, comme cela nous paraît probable, il faudrait placer la lettre à Zénobe avant la précédente, puisque l’ouvrage de l’Ordre fut achevé avant le troisième livre contre les Académiciens, dont Augustin parle à Hermogénien.

Nébride, que notre lecteur connaît déjà, et qui avait enseigné la grammaire à Milan, appelait Augustin heureux, dans une lettre écrite à son ami, après avoir lu le livre de la Vie bienheureuse. Augustin lui répondit, pour examiner s’il pouvait être heureux en effet, et comment il pouvait l’être. Il avait lu la lettre de Nébride à la clarté de la lampe, après son souper, au moment de se mettre au lit, mais non pas de s’endormir. Lorsqu’il fut couché, Augustin demeura longtemps à se demander à lui-même si Nébride avait raison de croire qu’il fût heureux. Le bonheur n’appartient qu’à la sagesse, et peut-être Nébride pense-t-il qu’Augustin est au nombre des sages. Ce qu’il a lu de lui l’en a peut-être persuadé. « Que serait-ce, ajoute Augustin, s’il avait lu les Soliloques ? Il eût été enivré, et cependant il n’aurait rien pu dire de plus que de m’appeler heureux. Il m’a donné du premier coup ce qu’il y a de plus grand. Voyez ce que fait la joie. » Augustin parle ensuite de la difficulté d’être heureux lorsqu’on ne connaît pas le dernier mot, la raison d’être, le pourquoi, le comment de la création. Pourquoi le monde est-il de telle grandeur ? Pourquoi n’est-il pas plus petit ?