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mon âme sortait par mes yeux et ma voix, quand, s’adressant à nous, votre Esprit d’amour nous dit : « Fils des hommes, jusques à quand ces cœurs appesantis ? Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? » N’avais-je pas aimé la vanité ? n’avais-je pas cherché le mensonge ? Et cependant, Seigneur, vous aviez exalté déjà votre Saint, le ressuscitant des morts, et le plaçant à votre droite (Marc, XII, 19), d’où il devait faire descendre le Consolateur promis, l’Esprit de vérité ( Jean, XIV, 16-17) ; et déjà il l’avait envoyé ( Act. II, 1-4) ; mais je ne le savais pas.

Il l’avait envoyé, parce qu’il était déjà glorifié, ressuscité des morts et monté au ciel. « Car, avant la gloire de Jésus, l’Esprit n’était pas encore donné ( Jean, VII, 39). » Et le Prophète s’écrie : Jusques à quand ces cœurs appesantis ? « Pourquoi aimez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge ? Apprenez donc que le « Seigneur a exalté son Saint. » Il s’écrie : Jusques à quand ? Il s’écrie : Apprenez ! —Et moi, dans ma longue ignorance, j’ai aimé la vanité, j’ai cherché le mensonge ! C’est pourquoi j’écoutais en frémissant, je me souvenais d’avoir été un de ceux que ces paroles accusent. J’avais pris pour la vérité ces fantômes de vanité et de mensonge. Et quels accents, forts et profonds, retentissaient dans ma mémoire endolorie ! Oh ! que n’ont-ils été entendus de ceux qui aiment encore la vanité et cherchent le mensonge ! Peut-être en eussent-ils été troublés, peut-être eussent-ils vomi leur erreur ; et vous eussiez exaucé les cris de leur cœur élevés jusqu’à vous ; car c’est de la vraie mort de la chair qu’est mort Celui qui intercède pour nous.

10. Et puis je lisais : « Entrez en fureur, mais sans pécher. » Et combien étais-je touché de ces paroles, ô mon Dieu, moi qui avais appris à m’emporter contre mon passé pour dérober au péché mon avenir ? Et de quel juste emportement, puisque ce n’était point une autre nature, race de ténèbres, qui péchait en moi, comme le prétendent ceux qui « thésaurisent contre eux la colère, pour ce jour de colère où la justice sera révélée (Rom. II, 5). »

Et mes biens n’étaient plus au dehors, et ce n’était plus dans ce soleil que je les cherchais de l’œil charnel. Ceux qui cherchent leur joie au dehors se dissipent comme la fumée, et se répandent comme l’eau sur les objets visibles et temporels, et leur famélique pensée n’en lèche que les images.. Oh ! s’ils se fatiguaient de leur indigence, et disaient : « Qui nous « montrera le Bien ? » Oh ! s’ils entendaient notre réponse : « La lumière de votre visage, Seigneur, s’est imprimée dans nous. » Car nous ne sommes pas cette lumière qui éclaire tout homme ( Jean, 1, 9), mais nous sommes éclairés par vous, pour devenir, de ténèbres que nous étions, lumière en vous (Ephés. V, 8).

Oh ! s’ils voyaient cette lumière intérieure, éternelle, que je frémissais, moi, qui déjà la goûtais, de ne pouvoir leur montrer, s’ils m’eussent apporté leur cœur dans des yeux détournés de vous, en me disant : « Qui nous montrera le Bien ? » Car c’est là, c’est dans la chambre secrète où je m’étais emporté contre moi-même ; où, pénétré de componction, je vous avais offert l’holocauste de ma caducité, et jeté les prémices de mon renouvellement au sein de votre espérance ; c’est là que j‘avais commencé de savourer votre douceur, et que mon cœur avait reçu votre joie. Et je m’écriais à la vérité de cette lecture, sanctionnée par le sens intérieur. Et je ne voulais plus me diviser dans la multiplicité des biens terrestres, bourreau et victime du temps, lorsque la simple éternité me mettait en possession d’un autre froment, d’un autre vin, d’une autre huile.

11. Et le verset suivant arrachait à mon cœur un long cri : « Oh ! dans sa paix ! oh ! dans lui-même ! » ô bienheureuse parole ! « Je prendrai mon repos et mon sommeil ! » Et qui nous fera résistance quand l’autre parole s’accomplira : « La mort est engloutie dans la victoire ( I Cor. XV, 54). » Et vous êtes cet Etre fort qui ne change pas ; et en vous le repos oublieux de toutes les peines ; parce que nul autre n’est avec vous ; parce qu’il ne faut pas se mettre en quête de tout ce qui n’est pas vous. « Mais vous m’avez affermi, Seigneur, dans la simplicité de l’espérance. »

Je lisais, et brûlais, et ne savais quoi faire à ces morts sourds, parmi lesquels j’avais dardé ma langue empoisonnée, aboyeur aveugle et acharné contre ces lettres saintes, lettres distillant le miel céleste, radieuses de votre lumière ; et je me consumais d’indignation contre les ennemis de cette Ecriture.

12. Quand épuiserai-je tous les souvenirs de ces heureuses vacances ? Mais je n’ai pas (443) oublié