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chapitre cinquième.

tenir de ne plus exister. — C’est une belle chose que ce refus de l’immortalité au prix de l’ignorance.

Dans le troisième chapitre, Augustin distingue parfaitement la conscience humaine des témoignages des sens ; les sens et le moi ne forment point une même chose ; la certitude réside dans l’évidence intime et non pas dans les sens qui peuvent être des occasions d’erreurs. Le moi résiste à l’erreur des sens et la rectifie.

Dans le chapitre quatrième, on est d’abord un peu surpris qu’Augustin s’abstienne de se prononcer sur la question de savoir si Dieu se sert des sens pour connaître quelque chose ; mais cette surprise cesse lorsqu’on réfléchit que le jeune philosophe marche par gradation vers la connaissance de Dieu, et qu’il n’admet rien que par démonstration.

Dans le cinquième chapitre, Augustin dit : « Le vrai, c’est ce qui est. » Bossuet a reproduit cette définition dans son Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même.

À la fin, lorsque de degré en degré, de conquête en conquête, les deux interlocuteurs se croient en possession du dogme consolateur qui agrandit jusqu’à l’infini l’horizon de la vie humaine, on aime à entendre la Raison dire au jeune Augustin : « Cesse de gémir, l’âme humaine est immortelle. »

Ce cours et profond ouvrage des Soliloques nous montre la raison humaine dans ses droits et dans sa gloire. Augustin, durant toute sa carrière de philosophe et de docteur catholique, n’abandonnera jamais les privilèges de la raison.

On nous permettra d’indiquer ici le Livre de l’immortalité de l’âme, quoique le fils de Monique ne l’ait composé qu’à son retour à Milan Augustin fit de ce livre le complément des Soliloques. Il est divisé en seize petits chapitres. Le fond de l’argumentation de cet ouvrage, c’est que, la science étant éternelle, l’âme qui en est le siège ne doit pas périr ; c’est que l’âme et la raison ne formant qu’une seule et même chose, l’éternelle durée de celle-ci doit entraîner la durée de celle-là ; enfin c’est que l’esprit, supérieur à la matière, ne doit pas être plus maltraité qu’elle : or, la matière, divisible à l’infini, ne peut être réduite au néant. Une observation toute naturelle d’Augustin nous a plus frappé que tous les raisonnements : plus l’âme se dégage des sens et se sépare du corps, plus elle est apte à s’élever aux grandes choses et à la recherche de la vérité ; son union avec le corps n’est donc pas une condition absolue de son existence !

Nous trouvons la réminiscence de Platon dans le chapitre où Augustin nous dit que l’âme humaine conserve en elle les vrais rapports des choses, quoiqu’elle semble, soit par ignorance, soit par oubli, ou ne pas les posséder, ou les avoir perdus.

Le chapitre VIII nous offre une grande preuve de l’existence de Dieu, que Clarke et beaucoup d’autres ont reproduite : nul être ne peut se créer lui-même, car il serait avant d’être, ce qui est absurde ; il faut donc remonter à un être qui tienne nécessairement et éternellement de lui-même sa propre existence. Dans le dernier chapitre, Augustin prouve la spiritualité de l’âme par la variété des sensations réunies dans l’unité du moi. On sent le grand métaphysicien à chaque page de ce livre.

Nous compléterons ce que nous avons dit du séjour d’Augustin à Cassiacum par l’analyse des lettres qu’il écrivit dans cette retraite : ce sont les premières que nous connaissions de sa correspondance[1].

Voici d’abord une lettre à Hermoginien, un ami d’Augustin, qui a dû être écrite dans le dernier mois de l’année 386, puisque cet ami avait déjà lu et admiré les trois livres contre les Académiciens. Augustin ne cache pas son respect pour les grands hommes qu’on regarde comme les chefs de l’école du scepticisme ; il croit qu’on leur attribue des sentiments qu’ils n’ont jamais eus. Il n’a donc pas songé à les combattre. À l’époque où vécurent ces grands hommes, la prudence voulait que les flots les plus purs échappés des sources de Platon coulassent dans un lit étroit tout voilé d’ombres et de difficile accès ; il importait de ne les découvrir qu’à un petit nombre d’hommes et de ne pas les livrer au passage des bêtes qui les auraient troublés et souillés ; le fils de Monique place au rang des bêtes ceux qui donnent à l’âme une forme corporelle. Il approuve les platoniciens de s’être armés contre ces hommes-là de l’art de cacher la vérité, art qui a toujours été une sage habitude de leur génie. Augustin ajoute

  1. Nous suivrons pour les Lettres de saint Augustin, comme pour tous ses autres ouvrages, la classification des Bénédictins ; c’est avec leur édition que nous travaillons. On compte depuis la fin du quinzième siècle jusqu’à ce jour vingt et une édition des Œuvres complètes de saint Augustin. On a publié récemment des lettres et des sermons inédits de l’évêque d’Hippone, dont l’authenticité nous a paru douteuse.