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pour vous servir, aux indécisions de me doutes. Car j’étais certain de la vérité ; mais engagé à la terre, je refusais d’entrer à votre solde, et je craignais autant la délivrance des obstacles qu’il en faut craindre l’esclavage.

12. Ainsi, le fardeau du siècle pesait sur moi comme le doux accablement du sommeil ; et les méditations que j’élevais vers vous ressemblaient aux efforts d’un homme qui veut s’éveiller, et vaincu par la profondeur de sou assoupissement, y replonge. Et il n’est personne qui veuille dormir toujours, et la raison, d’un commun accord, préfère la veille ; mais souvent on hésite à secouer le joug qui engourdit les membres, et l’ennui du sommeil cède au charme plus doux que l’on y trouve, quoique l’heure du lever soit venue ; ainsi je ne doutais pas qu’il ne voulût mieux me livrer à votre amour que de m’abandonner à ma passion. Le premier parti— me plaisait, il était vainqueur ; je goûtais l’autre, et j’étais vaincu. Et je ne savais que répondre à votre parole : « Lève-toi, toi qui dort Lève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ( Ephés. V, 14) ! » Et vous m’entouriez d’évidents témoignages ; et convaincu de la vérité, je n’avais à vous opposer que ces paroles de lenteur et de somnolence. : Tout à l’heure ! encore un instant ! laissez-moi un peu ! Mais ce tout à l’heure devenait jamais ; ce laissez-moi un peu durait toujours.

Vainement je me plaisais en votre loi, selon l’homme intérieur, puisqu’une autre loi luttait dans ma chair contre la roi de mon esprit, et m’entraînait captif de la loi du péché, incarnée dans mes membres. Car la loi du péché, c’est la violence de la coutume qui entraîne l’esprit et le retient contre son gré, mais non contre la justice, puisqu’il s’est volontairement asservi. Malheureux homme ! qui me délivrera du corps de cette mort, sinon votre grâce par Jésus-Christ Notre Seigneur (Rom. VII, 22-25) ?

Chapitre VI, Récit de Potitianus.

13. Comment vous m’avez délivré de cette chaîne étroite de sensualité et de l’esclavage du siècle, je vais le raconter, à la gloire de votre nom, Seigneur, mon rédempteur et mon secours. Je vivais dans une anxiété toujours croissante, et sans cesse soupirant après vous. Je fréquentais votre Eglise, autant que me le permettait ce fardeau d’affaires qui me faisait gémir. Avec moi était Alypius, sorti pour la troisième fois de sa charge d’assesseur, attendant en liberté des acheteurs de conseils, comme j’avais des chalands d’éloquence, si toutefois l’éloquence est une marchandise que l’enseignement puisse livrer. Nous avions obtenu de l’amitié de Nebridius de suppléer comme grammairien notre cher Verecundus, citoyen de Milan, qui en avait témoigné le vif désir, nous demandant, au nom de l’amitié, quelqu’un de nous pour lui prêter fidèle assistance, dont il avait grand besoin.

Ce ne fut donc pas l’intérêt qui décida Nebridius ; les lettres, s’il eût voulu, lui offraient un plus bel avenir ; mais sa bienveillance lui fit un devoir de se rendre à notre prière ; doux et excellent ami ! Sa conduite fut un modèle de prudence ; il évita soigneusement d’être connu des personnes éminentes dans le siècle, épargnant ainsi toute inquiétude à son esprit, qu’il voulait conserver libre et assuré d’autant d’heures de loisir qu’il pourrait s’en réserver, pour rechercher la sagesse par méditation, lecture ou entretien.

14. Un jour qu’il était absent, je ne sais pourquoi, nous eûmes la visite, Alypius et moi, d’un de nos concitoyens d’Afrique, Potitianus, l’un des premiers officiers militaires du palais. J’ai oublié ce qu’il voulait de nous. Nous nous assîmes pour nous entretenir. II aperçut par hasard, sur une table de jeu qui était devant nous, un volume. Il le prit, l’ouvrit, c’était l’apôtre Paul. Il ne s’y attendait certainement pas, croyant trouver quelque ouvrage nécessaire à cette profession qui dévorait ma vie. Il sourit, et me félicita du regard, étonné d’avoir surpris auprès de moi ce livre, et ce livre seul. Car il était chrétien zélé, souvent prosterné, dans votre église, en de fréquentes et longues oraisons. Je lui avouai que cette lecture était ma principale étude. Alors, il fut amené par la conversation a nous parler d’Antoine, solitaire d’Egypte, dont le nom si glorieux parmi vos serviteurs nous était jusqu’alors inconnu. Il s’en aperçut et s’arrêta sur ce sujet ; il révéla ce grand homme à notre ignorance, dont il ne pouvait assez s’étonner.

Nous étions dans la stupeur de l’admiration au récit de ces irréfragables merveilles de si récente mémoire, presque contemporaines, opérées dans la vraie foi, dans l’Eglise catholique. Et nous étions tous surpris, nous d’apprendre, lui de nous apprendre ces faits extraordinaires. (433)