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il lui donna la forme et l’ordre, un élément mauvais, qu’il y laissa sans le convertir en bien. Et pourquoi ? Etait-il impuissant à convertir, à changer l’essence de cette matière, pour qu’il n’y restât aucun vestige de mal, lui qui est Tout-Puissant ? Pourquoi a-t-il voulu tirer quelque chose d’une pareille matière, et pourquoi, avec cette toute-puissance, ne l’a-t-il pas plutôt réduite au néant ? Pouvait-elle donc exister contre sa volonté ? Que si elle était éternelle, pourquoi l’a-t-il laissée ainsi tout une éternité et s’est-il décidé si tard à en faire quelque chose ? Et s’il lui est venu soudaine volonté de faire, que n’a-t-il fait plutôt qu’elle cessât d’être, et que lui seul fût, comme le Bien véritable, souverain, infini ? Ou enfin, s’il n’était pas bien que la main de celui qui est tout bon demeurât stérile d’œuvre bonne, ne devait-il pas dissiper et rendre au néant cette matière mauvaise pour en instituer une bonne, dont il eût créé toutes choses ? car il ne serait pas tout-puissant s’il ne pouvait rien faire de bon qu’à l’aide de cette matière que lui-même n’aurait pas faite.

Et voilà tout ce que roulait de pensers mon pauvre cœur, gros de tous les mordants soucis dont le pénétraient la crainte de la mort et la tristesse de n’avoir point trouvé la vérité. Je portais néanmoins, enracinée dans mon âme, la foi de l’Eglise catholique en votre Christ notre Sauveur et Maître ; et bien qu’elle fût encore en moi avec des défauts et des fluctuations illégitimes, elle tenait pourtant dans mon esprit, et y prenait chaque jour davantage.

Chapitre VI, Vaines prédictions des astrologues.

8. J’avais déjà rejeté loin les trompeuses prédictions des astrologues et l’impiété de leurs délires. Oh ! que vos miséricordes, mon Dieu, en publient aussi vos louanges du fond des entrailles de mon âme ! C’est vous qui m’avez détrompé, et vous seul ; car qui nous ressuscite de la mort de toute erreur, que la vie qui ne saurait mourir ; que la sagesse, dont la lumière se suffisant à elle-même, éclaire les ténèbres des âmes, qui gouverne le monde et connaît jusqu’à la feuille qu’emporte le vent ? Vous avez pris en pitié mon obstination à combattre le sage vieillard Vindicianus, et Nebridius, ce jeune homme d’un esprit incomparable, lorsqu’ils soutenaient, l’un avec force, l’autre avec moins d’assurance, mais fréquemment, qu’il n’est point de science de l’avenir ; que si le sort dispose souvent selon les conjectures des hommes, ce n’est pas à la science des devins, mais à la multitude de leurs prophéties qu’il faut l’attribuer ; on peut prédire vrai à force de prédire. Vous m’avez donc amené un ami, assez peu savant en astrologie, mais zélé consulteur d’astrologues, quoiqu’il eût appris de son père un fait qui, à son insu, ruinait la vanité de cette science.

Cet homme, nommé Firminus, instruit dans les lettres et l’éloquence, me consultant un jour comme l’un de ses plus chers amis, sur, quelques grandes espérances qu’il bâtissait dans le siècle, pour savoir ce que j’en augurais d’après son horoscope, je ne refusai pas de lui donner mes conjectures et tout ce que ma pensée trouvait à tâtons, mais, inclinant déjà vers l’opinion de Nebridius, j’ajoutai que je commençais à tenir tout cela. pour vain et ridicule. Alors il me conta que son père, fort curieux de cette science, avait un ami voué à la même étude, et que, mettant en commun leur laborieuse passion pour ces puérilités, ils observaient chez eux le moment de la naissance des animaux domestiques, et précisaient en même temps la situation du ciel, pour fonder sur ces marques l’expérience de leur art.

Il disait donc avoir appris de son père, que lorsque sa mère était enceinte de lui Firminus, le sein d’une servante de cet ami grossit en même temps, ce qui ne put longtemps échapper au regard d’un maître si exact observateur de la naissance de ses chiens. Il arriva donc qu’ayant calculé les jour, heure et minute de la délivrance, l’un de sa femme, l’autre de sa servante, elles accouchèrent ensemble, en sorte qu’ils figurèrent nécessairement le même ascendant, l’un à son fils, l’autre à son esclave. Car, au moment où les deux femmes avaient ressenti les premières douleurs, ils s’informèrent mutuellement de ce qui se passait chez eux, et tinrent des serviteurs prêts à partir, au moment précis de la naissance. Maîtres absolus comme ils l’étaient, ils furent ponctuellement obéis. Et la rencontre des envoyés, disait-il, s’était opérée à une distance de l’une et de l’autre maison si précisément égale, qu’il fut de part et d’autre impossible de signaler la moindre différence dans l’aspect des astres, et dans le calcul des (420) moments. Et cependant Firminus, né dans