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chapitre cinquième.

dent. Souvent encore ceux-ci se laissent surprendre par des charmes funestes, qui les empêchent de mettre à profit des vents propices. Ces différentes sortes de voyageurs sur la mer du monde sont plus d’une fois jetés par le malheur, comme par un souffle orageux, dans le port de la vie heureuse et tranquille. Augustin leur signale une haute et dangereuse montagne qui, placée à l’entrée du port, en rétrécit le passage. Cette montagne est belle et des torrents de clartés l’inondent : elle attire avec ses brillants attraits ceux qui arrivent, et leur fait espérer les joies qu’ils se promettent dans le port ; elle tente même ceux qui déjà y sont entrés, et ceux-ci se laissent aller au plaisir de voir, des hautes cimes du mont, les autres au-dessous d’eux. Cette montagne, qui domine les approches de la Vérité, c’est la montagne de l’orgueil, de la vaine gloire. Après avoir enflé ceux qui l’habitent, cette terre, creuse et fragile, fond sous eux, les engloutit, et les voilà perdus au milieu d’immenses ténèbres.

La peinture d’Augustin, dont nous venons de présenter une analyse, est l’histoire éternelle des intelligences ; mais sa vérité frappante semble recevoir une application particulière dans l’âge où nous sommes. Si vous pouviez suivre de près la navigation des âmes humaines vers Dieu, vous verriez qu’il y a moins de naufrages sur la mer difficile où elles voguent, qu’il n’y a de ruines sur la montagne de l’orgueil. La perfide et grande enchanteresse dont parle Augustin a dévoré de beaux génies.

Après avoir beaucoup conversé avec ses amis, Augustin voulut converser avec lui-même ; il fit les deux livres des Soliloques ; c’est le dernier et le plus bel ouvrage qu’il ait composé à Cassiacum. « Je les écrivis (les Soliloques), dit-il dans la Revue de ses livres[1], selon mon goût et mon amour, pour trouver la vérité sur les choses que je souhaitais le plus de connaître, m’interrogeant moi-même et me répondant, comme si nous fussions deux, la Raison et moi, quoique je fusse seul : de là le nom de Soliloques donné à cet ouvrage. » Le travail est resté imparfait ; dans le deuxième livre, la question de l’immortalité de l’âme ne s’y trouve pas traitée aussi à fond que l’auteur se l’était proposé. Dans cet ouvrage, comme dans le livre de la Vie bienheureuse, Augustin avait dit que l’âme était heureuse dès cette vie par la connaissance de Dieu ; il nous fait observer, dans sa Revue, que l’âme ne peut être heureuse ici-bas que par l’espérance ; il aurait pu ajouter à l’espérance le charme divin attaché à l’accomplissement du bien, et c’est dans ce double sens que nous avons proclamé précédemment la félicité des cœurs purs.

Les véritables Soliloques de saint Augustin, qui sont des dialogues entre lui et sa raison, sont moins connus que les Soliloques divisés en trente-sept chapitres faussement attribués à ce grand homme. D’après l’observation de Tillemont, ce dernier ouvrage n’a pu être composé qu’au commencement du treizième siècle, puisque le chapitre xxxii renferme un passage du concile de Latran, tenu en 1215. Il est tiré à la fois des Confessions et de Hugues de Saint-Victor, moine du douzième siècle, qui, entre autres livres, écrivit une excellente explication de la Règle de saint Augustin.

Les Soliloques sont un monument immortel du génie philosophique d’Augustin ; cet écrit, qui renferme peu de pages, suffirait pour lui assurer une place parmi les plus grands métaphysiciens. Nous en donnerons une analyse.

La prière placée en tête de l’ouvrage est d’une grande et touchante beauté ; elle a évidemment inspiré la prière de Fénelon à la fin du Traité de l’existence de Dieu. L’oraison du fils de Monique est comme une magnifique définition de Dieu et de sa providence ; on y sent un cœur rempli, obsédé par l’idée de Dieu et profondément frappé du besoin de son assistance. Augustin lui dit : « Accordez-moi d’abord de vous bien prier, ensuite faites que je sois digne d’être exaucé, et enfin accordez-moi d’être délivré. » La doctrine de la grâce catholique, que saint Augustin devait plus tard développer et défendre avec tant de puissance, est renfermée dans ces deux lignes écrites par le jeune Africain avant même son baptême ! Toute la prière, d’ailleurs, est pleine de cet esprit. Augustin dit à Dieu : « Vous à qui le mal ne peut nuire, Cui nec malitia nocet. » Il y a dans ces quatre mots un argument invincible contre les manichéens.

Entrons dans la profondeur des Soliloques. Augustin et la raison conversent pour arriver à la vérité et à la connaissance de Dieu. Le fils de Monique va nous apparaître comme l’inventeur du doute méthodique auquel Descartes a attaché son nom.

Augustin affirme qu’il connaît ce que c’est qu’une ligne, ce que c’est qu’une sphère ; il

  1. Livre I, chap. 4.