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Il se promenait donc seul, devant le tribunal, avec ses tablettes et son stylet, lorsqu’un jeune écolier, franc voleur, secrètement muni d’une hache, sans être aperçu de lui, s’approche des barreaux de plomb en saillie sur les devantures de la voie des Orfèvres, et se met à les couper. Au bruit de la hache, on s’écrie à l’intérieur et on envoie des gens pour saisir le coupable. Entendant leurs voix, celui-ci prend la fuite et jette son instrument, de peur d’être surpris armé. Alypius qui ne l’avait pas vu entrer, le voit sortir et fuir rapidement. Il s’approche pour s’informer ; étonné de trouver une hache, il s’arrête à la considérer. On l’aperçoit, seul, tenant l’outil dont le bruit avait donné l’alarme. On l’arrête, on l’entraîne, on appelle tous les habitants du voisinage, on le montre en triomphe comme un voleur pris en flagrant délit qu’on va livrer au juge.

15. Mais la leçon devait se borner là. Vous vîntes aussitôt, Seigneur, au secours de son innocence, dont vous étiez le seul témoin. Comme on le menait à la prison ou au supplice, il se trouva à la rencontre un architecte, spécialement chargé de la conservation des bâtiments publics. Les gens qui le tiennent sont charmés qu’à leur passage vienne précisément s’offrir celui qui d’ordinaire les soupçonnait des larcins commis au Forum ; il en allait enfin connaître les auteurs. Or, cet homme avait plus d’une fois vu Alypius chez un sénateur qu’il allait souvent saluer. Il le reconnaît, lui prend la main et, le tirant à part, lui demande la cause de ce désordre, et apprend ce qui s’est passé. La foule s’émeut et murmure avec menace ; l’architecte commande qu’on le suive. On passe devant la maison du jeune homme coupable. A la porte se trouvait un enfant, trop petit pour être retenu dans sa révélation par la crainte de compromettre son maître, qu’il avait accompagné au Forum. Alypius le voit et le désigne à l’architecte, qui, montrant la hache à l’enfant, lui demande à qui elle est : à nous, répond à l’instant celui-ci. On l’interroge de nouveau ; tout se découvre. Ainsi, le crime retomba sur cette maison, à la confusion de la multitude, qui déjà triomphait d’Alypius. Dispensateur futur de votre parole, et juge de tant d’affaires en votre Eglise, il sortit de ce danger avec plus d’instruction et d’expérience.

Chapitre X, Intégrité d’Alypius. — ardeur de Nebridius à la recherche de la vérité.

16. Je l’avais rencontré à Rome, où il s’unit à moi d’amitié si étroite qu’il me suivit à Milan pour ne point se séparer de moi, et aussi pour utiliser sa science du droit, suivant le désir de ses parents plutôt que le sien. Eprouvé déjà par trois emplois, où son désintéressement n’avait pas moins étonné les autres qu’il n’était surpris lui-même de la préférence qu’on pouvait accorder à l’or sur la probité, une dernière tentative contre sa fermeté avait mis en œuvre tous les ressorts de la séduction et de la terreur. Il remplissait à Rome les fonctions d’assesseur, auprès du comte des revenus d’Italie, quand un sénateur, puissant par ses bienfaits et son crédit, accoutumé à ne pas trouver d’obstacles, voulut se permettre je ne sais quoi de contraire à la loi. Alypius s’y oppose. On lui promet une récompense, qu’il dédaigne ; on essaie de menaces, qu’il foule aux pieds ; tous admirant cette constance qui ne pliait pas devant un homme, bien connu pour avoir mille moyens d’être utile ou de nuire ; cette fermeté d’âme également indifférente au désir de son amitié et à la crainte de sa haine. Le magistrat lui-même, dont Alypius était le conseiller, quoique opposé à cette injuste prétention, n’osait cependant refuser hautement ; mais s’excusant sur l’homme juste, il alléguait sa résistance ; et s’il fléchissait, Alypius était en effet décidé à résigner ses fonctions.

Son amour pour les lettres, seul, faillit le séduire ; il eût pu, avec le gain du prétoire, se procurer des manuscrits ; mais il consulta la justice et prit une résolution meilleure, préférant le véto de l’équité au permis de l’occasion. Cela n’est rien sans doute, mais « qui est fidèle dans les petites choses l’est dans les grandes ; » et rien ne saurait anéantir cet oracle sorti de la bouche de votre vérité : « Si vous n’avez pas été fidèle dispensateur d’un faux trésor, qui vous confiera le véritable ? Si vous n’avez pas été fidèle dépositaire du bien d’autrui, qui vous rendra celui qui est à vous (Luc, XVI, 10-12) ? » Tel était l’homme si étroitement lié avec moi, et comme moi chancelant, irrésolu sur le genre de vie à suivre.

17. Et Nebridius aussi qui avait abandonné (412) son pays,