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dont ensuite ils imposent la créance. Et votre main miséricordieuse et douce, ô Seigneur ! prenant et façonnant mon cœur peu à peu, je remarquais quelle infinité de faits je croyais, dont je n’avais été ni témoin, ni contemporain ; tant d’événements dans l’histoire des nations, tant de récits de lieux, de villes, d’actions, contés par des amis, des médecins, par tous les hommes, qu’il faut admettre sous peine de rompre toutes les relations de la vie. Une foi inébranlable ne m’assurait-elle pas des auteurs de ma naissance ? et que pouvais-je en savoir, si je ne croyais au témoignage ?

Ainsi vous m’avez persuadé que, loin de blâmer ceux qui ajoutent foi à vos Ecritures, dont vous avez si puissamment établi l’autorité chez presque tous les peuples du monde, les incrédules seuls sont répréhensibles, et ne doivent point être écoutés quand ils nous disent D’où savez-vous si ces livres ont été communiqués au genre humain par l’Esprit du vrai Dieu, qui est la vérité même ? Et c’est précisément là ce qu’il me fallait croire, puisque, dans ces luttes sophistiques de questions captieuses, dans ces conflits de philosophes dont j’avais lu les livres, rien n’avait pu déraciner en moi la croyance que vous êtes, tout en ignorant ce que vous êtes, ni me faire douter que la conduite des choses humaines appartînt à votre Providence.

8. Ma foi, à cet égard, était, il est vrai, tantôt plus forte, tantôt plus faible ; mais toujours ai-je cru que vous êtes, et que vous prenez souci de nous, quoique je ne susse que penser de votre substance, ou de la voie qui conduit, qui ramène à vous. Ainsi donc, impuissante à trouver la vérité par raison pure, notre faiblesse a besoin de l’appui des saints Livres, et je commençai dès lors à croire que vous n’auriez point investi cette Ecriture d’une autorité si haute et si universelle, s’il ne vous avait plu d’être cru, d’être cherché par elle. Quant aux absurdités où je me choquais d’ordinaire, quelques explications plausibles données devant moi m’en faisaient déjà rapporter l’inconnu étrange à la profondeur des mystères. Et son autorité m’apparaissait d’autant plus vénérable et plus digne de foi, que, s’offrant à la main de tout lecteur, elle n’en conservait pas moins dans la profondeur du sens la majesté de ses secrets ; accessible par la nudité de l’expression, par l’abaissement du langage, et toutefois exerçant les cœurs les plus méditatifs ; recevant tous les hommes en son vaste sein, n’en faisant passer qu’un petit nombre jusqu’à vous à travers le fin tissu de son voile, mais beaucoup plus néanmoins que si, au faite d’autorité où elle est élevée, elle ne rassemblait le genre humain dans le giron de son humilité sainte. Ainsi je méditais, et vous veniez à moi. Je soupirais, et vous prêtiez l’oreille. Je flottais, et vous me gouverniez. J’allais par la voie large du siècle, et vous ne m’abandonniez pas.

Chapitre VI, Misère de l’ambition.

9. J’aspirais aux honneurs, aux richesses, au mariage, et j’étais votre risée. Et je trouvais dans ces désirs mille épines douloureuses ; et vous m’étiez d’autant plus propice que vous me rendiez plus amer ce qui n’était pas vous. Voyez mon cœur, ô Seigneur ! qui m’avez inspiré ces souvenirs et cette confession. Que désormais s’attache à vous mon âme que vous avez dégagée des gluants appâts de la mort ! Quelle était sa misère ! Et vous ne cessiez de piquer sa plaie vive, afin qu’au mépris de tout elle se convertît à vous, qui êtes au-dessus de tout, sans qui rien ne serait ; qu’elle se convertît et guérît.

Quelle était la grandeur de mon mal, et quelle fut, pour me le faire sentir, l’habileté de votre traitement, alors que je me disposais à prononcer un panégyrique de l’empereur, où je devais débiter force mensonges qui eussent été accueillis par des applaudissements complices ! et mon cœur était haletant de soucis, j’étais possédé de la fièvre des pensers dévorants, quand, passant par une rue de Milan, j’aperçus un pauvre, aviné, je crois, et en joyeuse humeur. Je soupirai, et, m’adressant à quelques amis qui se trouvaient avec moi, je déplorai nos laborieuses folies. Tous nos efforts, si pénibles, et tels que ceux dont j’étais alors consumé, traînant sous l’aiguillon des passions cette charge de misère, de plus en plus lourde à mesure qu’on la traîne, avaient-ils d’autre but que cette sécurité joyeuse, où ce mendiant nous avait précédés, où peut-être nous n’arriverions jamais ? Quelques pièces d’argent mendiées lui avaient suffi pour acquérir ce que je poursuivais dans ces âpres défilés, par mille sentiers d’angoisse, la joie d’une félicité temporelle. (409)