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les chansons de sobriété sont le verre d’eau qui donne des nausées à l’ivrogne. Lorsqu’elle apportait sa corbeille remplie des offrandes funèbres, elle en goûtait et distribuait le reste, ne se réservant que quelques gouttes de vin, autant que l’honneur des saintes mémoires en pouvait demander à son extrême sobriété. Si le même jour célébrait plus d’un pieux anniversaire, elle portait sur tous les monuments un seul petit flacon de vin trempé et tiède, qu’elle partageait avec les siens en petites libations ; car elle satisfaisait à sa piété et non à son plaisir.

Sitôt qu’elle eut appris que le saint évêque, le grand prédicateur de votre parole, avait défendu cette pratique même aux plus sobres observateurs, pour refuser aux ivrognes toute occasion de se gorger d’intempérance dans ces nouveaux banquets funèbres trop semblables à la superstition païenne, elle y renonça de grand cœur, et au lieu d’une corbeille garnie de terrestres offrandes, elle sut apporter aux tombeaux des martyrs une âme pleine des vœux les plus épurés ; se réservant de donner aux pauvres selon son pouvoir, il lui suffit de participer, dans ces saints lieux, à la communion du corps du Seigneur, dont les membres, imitateurs de sa croix, ont reçu la couronne du martyre.

Il me semble toutefois, Seigneur mon Dieu, et tel est le sentiment de mon cœur en votre présence, qu’il n’eût pas été facile d’obtenir de ma mère le retranchement de cette pratique, si la défense en eût été portée par un autre moins aimé d’elle qu’Ambroise, qu’elle chérissait comme l’instrument de mon salut ; et lui l’aimait pour sa vie exemplaire, son assiduité à l’église, sa ferveur spirituelle dans l’exercice des bonnes œuvres ; il ne pouvait se taire de ses louanges en me voyant, et me félicitait d’avoir une telle mère. Il ne savait pas quel fils elle avait en moi, qui doutais de toutes ces grandes vérités, et ne croyais pas qu’on pût trouver le chemin de la vie.

Chapitre III, Occupations de Saint Ambroise.

3. Mes gémissements et mes prières ne vous appelaient pas encore à mon secours ; mon esprit inquiet cherchait et discutait sans repos. Et j’estimais Ambroise lui-même un homme heureux suivant le siècle, à le voir honoré des plus hautes puissances de la terre : son célibat seul me semblait pénible. Mais tout ce qu’il nourrissait d’espérance, tout ce qu’il avait de luttes à soutenir contre les séductions de sa propre grandeur, tout ce qu’il trouvait de consolations dans l’adversité, de charmes dans la voix secrète qui lui parlait au fond du cœur, tout ce qu’il goûtait de savoureuses joies en ruminant le pain de vie, je n’en avais nul pressentiment, nulle expérience, et lui ne se doutait pas de mes angoisses et de la fosse profonde où j’allais tomber. Il m’était impossible de l’entretenir de ce que je voulais, comme je le voulais ; une armée de gens nécessiteux me dérobait cette audience et cet entretien il était le serviteur de leurs infirmités. S’ils lui laissaient quelques instants, il réconfortait son corps par les aliments nécessaires et son esprit par la lecture.

Quand il lisait, ses yeux couraient les pages dont son esprit perçait le sens ; sa voix et sa langue se reposaient. Souvent en franchissant le seuil de sa porte, dont l’accès n’était jamais défendu, où l’on entrait sans être annoncé, je le trouvais lisant tout bas et jamais autrement. Je m’asseyais, et après être demeuré dans un long silence (qui eût osé troubler une attention si profonde ? ) je me retirais, présumant qu’il lui serait importun d’être interrompu dans ces rapides instants, permis au délassement de son esprit fatigué du tumulte de tant d’affaires. Peut-être évitait-il une lecture à haute voix, de peur d’être surpris par un auditeur attentif en quelque passage obscur ou difficile, qui le contraignit à dépenser en éclaircissement ou en dispute, le temps destiné aux ouvrages dont il s’était proposé l’examen ; et puis, la nécessité de ménager sa voix qui se brisait aisément, pouvait être encore une juste raison de lecture muette. Enfin, quelle que fût l’intention de cette habitude, elle ne pouvait être que bonne en un tel homme.

4. Il m’était donc impossible d’interroger à mon désir votre saint oracle qui résidait dans son cœur, sauf quelques demandes où il ne fallait qu’un mot de réponse. Cependant mes vives sollicitudes épiaient un jour de loisir où elles pussent s’épancher en lui, elles ne le trouvaient jamais. Sans doute, je ne laissais jamais passer le jour du Seigneur sans l’entendre expliquer au peuple avec certitude la parole de vérité ( II Tim. II, 15), et je m’assurais de plus en (407) plus