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Livre quatrième.

Neufs années d’erreur. — Sa passion pour l’astrologie. — Mort d’un ami ; violence de sa douleur. — Ses livres de la Beauté et de la Convenance. Force et vivacité de son intelligence.

Chapitre premier.

neuf années d’erreur.

1. Pendant ces neuf années de mon âge, de dix-neuf à vingt-huit, je demeurai dans cet esclavage, séduit et séducteur, au gré de mes instincts déréglés ; je trompais en public par les sciences dites libérales ; en secret, par le mensonge d’une fausse religion : ici, jouet de l’orgueil, là, de la superstition, partout de la vanité. Épris du vide de la gloire populaire, j’en étais venu à jalouser les applaudissements du théâtre, les luttes de poésie, la poursuite des couronnes de foin, les bagatelles des spectacles, toutes les intempérances du libertinage. Et demandant d’autre part d’être purifié de ces souillures, j’apportais des aliments à ces saints, à ces élus de Manès, pour que l’alambic de leur estomac en exprimât à mon intention des anges et des dieux libérateurs. Telle était l’extravagance des opinions et des pratiques que je professais avec mes amis, par moi et comme moi séduits.

Qu’ils me raillent, ces superbes, qui n’ont pas encore le bonheur d’être humiliés et écrasés par vous, mon Dieu : moi je confesse mes ignominies pour votre gloire ; permettez-moi, je vous en conjure, donnez-moi de promener aujourd’hui mes souvenirs par tous les détours de mes erreurs passées, et « de vous immoler une victime de joie[1]. » Car, sans vous, que suis-je à moi-même, qu’un guide malheureux penché sur les précipices ? Et que suis-je, dans la santé de l’âme, qu’un nourrisson allaité de votre lait, et qui se repaît de vous, incorruptible nourriture ? Et qu’est-ce que l’homme, quelque homme que ce soit, puisqu’il est homme ? Qu’ils nous raillent donc, les forts et les puissants ; mais confessons toujours à vous nos infirmités et notre indigence.

Chapitre II.

enseigne la rhétorique. — son commerce illégitime avec une femme. — il rejette les offres d’un devin.

2. J’enseignais alors la rhétorique, l’escrime de la faconde, maître vénal blessé par l’intérêt ; je préférais pourtant, vous le savez, Seigneur, avoir ce qu’on appelle de bons disciples, et en toute simplicité, je leur apprenais l’artifice, non pour s’élever jamais contre la vie de l’innocent, mais pour sauver parfois une tête coupable. Et vous, mon Dieu, vous m’avez vu de loin chanceler sur la voie glissante, vous avez distingué, dans une épaisse fumée, les étincelles de cette probité qui me dévouait à l’instruction de ces amateurs de vanité, de ces chercheurs de mensonge dont j’étais le compagnon.

En ces mêmes années, j’avais une femme qui ne m’était pas unie par la sainteté du mariage, mais que l’imprudence d’un vague désir m’avait fait trouver. Seule femme toutefois que je connusse ; je lui gardais la foi ; mais je ne laissais pas de mesurer par ma propre expérience tout l’intervalle qui sépare les convenances d’une légitime union, dont la fin est de transmettre la vie, et cette liaison de voluptueuses amours, dont les fruits naissent contre nos vœux, quoique leur naissance force notre tendresse.

3. Je me souviens encore qu’ayant voulu disputer au concours le prix d’un chant scénique, un devin me fit demander ce que je lui donnerais pour remporter la victoire ; mais, plein d’horreur de ces abominables sacriléges, je

  1. Ps. xxvi, 6.