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LES CONFESSIONS. — LIVRE PREMIER.

Il est ainsi, Seigneur, il est ainsi. Où donc vous appelé-je, puisque je suis en vous ? D’où viendrez-vous en moi ? car où me retirer hors du ciel et de la terre, pour que de là vienne en moi mon Dieu qui a dit : « C’est moi qui remplis le ciel et la terre[1] ? »

Chapitre III.

dieu est tout entier partout.

3. Êtes-vous donc contenu par le ciel et la terre, parce que vous les remplissez ? ou les remplissez-vous, et reste-t-il encore de vous, puisque vous n’en êtes pas contenu ? Et où répandez-vous, hors du ciel et de la terre, le trop plein de votre être ? Mais avez-vous besoin d’être contenu, vous qui contenez tout, puisque vous n’emplissez qu’en contenant ? Les vases qui sont pleins de vous ne vous font pas votre équilibre ; car s’ils se brisent, vous ne vous répandez pas ; et lorsque vous vous répandez sur nous, vous ne tombez pas, mais vous nous élevez ; et vous ne vous écoulez pas, mais vous recueillez.

Remplissant tout, est-ce de vous tout entier que vous remplissez toutes choses ? Ou bien, tout ne pouvant vous contenir, contient-il partie de vous, et toute chose en même temps cette même partie ? ou bien chaque être, chacune ; les plus grands, davantage ; les moindres, moins ? Y a-t-il donc en vous, plus et moins ? Ou plutôt n’êtes-vous pas tout entier partout, et, nulle part, contenu tout entier ?

Chapitre IV.

grandeurs ineffables de dieu.

4. Qu’êtes-vous donc, mon Dieu ? qu’êtes-vous, sinon le Seigneur Dieu ? « Car quel autre Seigneur que le Seigneur, quel autre Dieu que notre Dieu[2] ? » Ô très-haut, très-bon, très-puissant, tout-puissant, très-miséricordieux et très-juste, très-caché et très-présent, très-beau et très-fort, stable et incompréhensible, immuable et remuant tout, jamais nouveau, jamais ancien, renouvelant tout et conduisant à leur insu les superbes au dépérissement, toujours en action, toujours en repos, amassant sans besoin, vous portez, remplissez et protégez ; vous créez, nourrissez et perfectionnez, cherchant lorsque rien ne vous manque !

Votre amour est sans passion ; votre jalousie sans inquiétude ; votre repentance, sans douleur ; votre colère, sans trouble ; vos œuvres changent, vos conseils ne changent pas. Vous recouvrez ce que vous trouvez et n’avez jamais perdu. Jamais pauvre, vous aimez le gain ; jamais avare, et vous exigez des usures. On vous donne de surérogation pour vous rendre débiteur ; et qu’avons-nous qui ne soit vôtre ? Vous rendez sans devoir ; en payant, vous donnez et ne perdez rien. Et qu’ai-je dit, mon Dieu, ma vie, mes délices saintes ? Et que dit-on de vous en parlant de vous ? Mais malheur à qui se tait de vous ! car sa parole est muette.

Chapitre V.

dites à mon âme : je suis ton salut.

5. Qui me donnera de me reposer en vous ? Qui vous fera descendre en mon cœur ? Quand trouverai-je l’oubli de mes maux dans l’ivresse de votre présence, dans le charme de vos embrassements, ô mon seul bien ? Que m’êtes-vous ? Par pitié, déliez ma langue ! Que vous suis-je moi-même, pour que vous m’ordonniez de vous aimer, et, si je désobéis, que votre colère s’allume contre moi et me menace de grandes misères ? En est-ce donc une petite que de ne vous aimer pas ? Ah ! dites-moi, au non de vos miséricordes, Seigneur mon Dieu, dites-moi ce que vous m’êtes. « Dites à mon âme : Je suis ton salut[3]. » Parlez haut, que j’entende. L’oreille de mon cœur est devant vous, Seigneur ; ouvrez-la, et « dites à mon âme : Je suis ton salut. » Que je coure après cette voix, et que je m’attache à vous ! Ne me voilez pas votre face. Que je meure pour la voir ! Que je meure pour vivre de sa vue !

6. La maison de mon âme est étroite pour vous recevoir, élargissez-la. Elle tombe en ruines, réparez-la. Çà et là elle blesse vos yeux, je l’avoue et le sais ; mais qui la balayera ? À quel autre que vous crierai-je : « Purifiez-moi de mes secrètes souillures, Seigneur, et n’imputez pas celles d’autrui à votre serviteur[4] ? » « Je crois, c’est pourquoi je parle ; Seigneur, vous le savez[5]. » « Ne vous ai-je pas, contre moi-même, accusé mes crimes, ô mon Dieu, et ne m’avez-vous pas remis la malice de mon cœur[6] ? » « Je n’entre point en jugement

  1. Jérém. xxiii, 24.
  2. Ps. xvii, 32.
  3. Ps. xxxiv, 3.
  4. Ps. xviii, 13, 14.
  5. Ps. cxv, 10.
  6. Ps. xxxi, 5.