Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
321
OUVRAGES COMPOSÉS AVANT L’ÉPISCOPAT.

d’être entretenu par les aliments corporels. Mais il sera suffisamment animé par l’esprit seul lorsqu’il ressuscitera pour s’unir à un esprit vivifiant et que par là il sera devenu un corps spirituel ; tandis que dans l’origine, bien qu’il ne dût pas mourir si l’homme n’eût pas péché, comme il était formé pour une âme vivante il était simplement un corps animal.

5. Ailleurs encore : « Le péché est un mal si volontaire, qu’il n’y a pas de péché là où il n’y a pas de volonté[1]. » Cette définition peut paraître fausse ; mais en la discutant avec soin, on trouve qu’elle est parfaitement vraie. En effet, il faut nommer péché ce qui est seulement péché, et non pas ce qui est aussi la peine du péché, comme je l’ai montré ci-dessus à propos d’un passage du livre troisième du traité du Libre Arbitre[2]. Néanmoins, même des actes qu’à bon droit on appelle des péchés involontaires, parce qu’ils sont commis ou sans qu’on le sache, ou sous la contrainte, ne peuvent pas être commis absolument sans volonté. Car, celui qui pèche par ignorance, agit cependant volontairement, pensant accomplir un acte licite quand cet acte ne l’est pas ; et celui qui, dans la concupiscence de la chair contre l’esprit, ne fait pas ce qu’il veut, éprouve à la vérité des désirs malgré lui ; et, en cela, il fait ce qu’il ne veut pas ; mais s’il est vaincu, il consent volontairement à la concupiscence ; et en cela il ne fait que ce qu’il veut : libre à l’égard de la justice, esclave à l’égard du péché. Quant au péché que dans les enfants on nomme péché originel, lorsqu’ils n’ont pas encore l’usage de leur libre arbitre, on n’a pas tort non plus de l’appeler volontaire, puisque, contracté à l’origine par la volonté dépravée de l’homme, il est devenu en quelque façon héréditaire. Je n’ai donc pas été en faute quand j’ai dit : « Le péché est un mal si volontaire, qu’il n’y a pas de péché s’il n’y a pas de volonté. » C’est pourquoi la grâce de Dieu enlève non-seulement les fautes antérieures chez tous ceux qui sont baptisés en Jésus-Christ, ce qui arrive par l’esprit de régénération ; mais même dans les adultes, le Seigneur assainit la volonté et la prépare, ce qui arrive par l’esprit de foi et de charité.

6. Dans un autre endroit, quand j’ai dit de Notre-Seigneur Jésus-Christ : « Il n’a rien fait par force, mais tout par conseil et par persuasion[3] ; » je n’avais pas présent à l’esprit qu’il avait chassé à coups de fouet les vendeurs et les acheteurs du temple. Mais qu’est-ce que cela ? Quelle en est l’importance ? Il est vrai aussi que, quand il chassait malgré eux les démons qui possédaient les hommes, il employait non le langage de la persuasion, mais la force de la puissance.

Ailleurs aussi j’ai dit : « Il faut d’abord suivre ceux qui enseignent qu’il n’y a qu’un seul Dieu suprême, qu’un seul vrai Dieu, et qu’il faut l’adorer seul ; si la vérité ne brille pas en eux, il faudra alors quitter la place. » On pourrait croire que je parais en cela douter en quelque sorte de la vérité de cette religion. J’ai écrit ces paroles dans le sens qui convenait à celui à qui je m’adressais ; car lorsque j’ai dit : « Si la vérité ne brille pas en eux, » je n’ai jamais douté qu’elle n’y brillât. Absolument comme parle l’Apôtre : « Si le Christ n’est pas ressuscité[4] ; » et certes, il ne doute pas de sa résurrection.

7. J’ai écrit en un autre passage : « La continuation de ces miracles jusqu’à notre temps n’a pas été permise, de peur que l’âme ne cherchât toujours que des choses visibles, et de peur que le genre humain ne se refroidît par l’habitude à l’égard des merveilles dont « la nouveauté l’avait enflammé[5]. » Cela est très-vrai ; maintenant, en effet, l’imposition des mains qu’on donne à ceux qu’on baptise, ne leur confère pas le Saint-Esprit, de façon qu’ils parlent toutes les langues ; les prédicateurs du Christ, quand ils passent, ne vont pas jusqu’à guérir les infirmes par leur ombre ; les grands faits d’alors ont cessé, cela est manifeste. Mais il ne faudrait pas prendre mes paroles dans ce sens, qu’il n’y a point à croire qu’aucun miracle ne se fasse plus au nom du Christ. Moi-même, quand j’ai écrit ce livre, je savais qu’un aveugle avait été guéri à Milan près des corps des saints martyrs de cette ville[6]. Il y a beaucoup d’autres faits de ce genre qui arrivent de notre temps, tellement que nous ne pouvons les connaître tous, ni même énumérer tous ceux que nous connaissons.

8. Je me suis servi ailleurs de cette citation : « Tout ordre vient de Dieu, comme dit l’Apôtre. » Ce ne sont pas les propres paroles de l’Apôtre, quoique ce paraisse être sa pensée. Il dit : « Ce qui est, est ordonné de Dieu[7]. »Ailleurs j’ai dit : « Que personne ne nous

  1. C. XIV, n. 27.
  2. Ci-dess., C. IX, n. 5.
  3. C. XVI, n. 31
  4. I Cor. XV, n. 14.
  5. C. XXV, n. 46, 47.
  6. Saint Gervais et saint Protais. Conf. liv. IX, C. VII, n. 16.
  7. Rom. XIII, 1.