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LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

justice. Et si ce bienfait divin qui la délivre ne la prévenait, il faudrait l’attribuer à ses mérites ;

alors ce ne serait plus la grâce, car la grâce se donne gratuitement. Nous en avons traité suffisamment dans nos autres opuscules, en réfutant ces ennemis de la grâce, ces hérétiques nouveaux. Néanmoins dans ces livres du Libre Arbitre, qui étaient dirigés contre les Manichéens, et non pas contre eux, puisqu’ils n’existaient point encore, nous n’avons pas entièrement gardé le silence sur cette grâce de Dieu, que leur criminelle impiété cherche à détruire. En effet nous avons dit dans le second livre que non-seulement les grands biens, mais les plus petits ne peuvent venir que de Celui d’où viennent tous les biens, c’est-à-dire de Dieu. Et un peu plus loin : « Les vertus qui font bien vivre sont les grands biens ; les formes apparentes des différents corps, sans lesquelles on peut bien vivre, sont les moindres biens ; les puissances de l’âme sans lesquelles on ne peut bien vivre, sont les biens moyens. Personne n’use mal des vertus ; les autres biens, les moyens et les moindres, on en peut user bien ou mal. Et la raison pour laquelle personne n’use mal de la vertu, c’est que l’œuvre de la vertu est le bon usage de ces biens dont nous pouvons aussi ne pas bien user ; or, en usant bien, on n’use pas mal. C’est pourquoi dans la surabondance et la grandeur de sa bonté, Dieu nous a accordé non-seulement les grands biens, mais les moyens et les moindres. Cette bonté, il la faut louer plus dans les grands biens que dans les moyens, et plus dans les moyens que dans les plus petits ; mais plus encore dans la totalité, que s’il ne nous les avait pas accordés tous[1]. » Et ailleurs : « Quant à vous, tenez pour certain et avec une inébranlable piété, qu’il ne vous arrive aucun bien, soit que vous le sentiez, soit que vous le compreniez, soit que vous y pensiez en quelque manière, que ce bien ne vienne de Dieu. » J’ai dit encore ailleurs : « Comme l’homme qui est tombé de lui-même ne peut pas se relever de lui-même, saisissons avec une foi ferme la main de Dieu qui nous est tendue d’en-haut, c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ[2]. »

5. Dans le troisième livre, après ces paroles que Pélage a empruntées à mes opuscules, ainsi que je l’ai rapporté : « Qui pèche en un acte dont on ne peut aucunement se garder ? Or on pèche ; donc on peut s’en garder, » j’ai ajouté immédiatement : « Toutefois, il y a certains actes commis par ignorance, qui sont blâmés et qu’on juge dignes d’être corrigés, comme nous le lisons dans les divines Écritures. L’Apôtre dit en effet : J’ai obtenu miséricorde parce que j’ai agi dans l’ignorance[3]. Et le Prophète dit aussi : Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon ignorance[4]. Il y a aussi des actes de nécessité qui sont blâmables : quand par exemple l’homme veut faire bien et qu’il ne le peut. Car que signifient ces paroles : Le bien que je veux, je ne le fais pas, et le mal que je hais, je le fais ; et encore : Le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas[5] ? Et ceci : La chair convoite contre l’esprit et l’esprit contre la chair ; car ils sont opposés l’un à l’autre, de sorte que vous ne faites pas ce que vous voulez[6]. Mais tout cela regarde les hommes qui naissent sous cet arrêt de mort. Car si c’était là la nature de l’homme et non son châtiment, il n’y aurait pas là de péchés. En effet si on ne s’écarte pas de l’état où on a été formé naturellement, et qu’on ne puisse être mieux, quand on agit ainsi, on fait ce qu’on doit. Si l’homme était naturellement bon, il ferait autrement ; mais maintenant, puisqu’il est ainsi, il n’est pas bon et il n’est pas en son pouvoir de l’être, soit qu’il ne voie pas ce qu’il devrait être, soit qu’il le voie et qu’il ne puisse pas y arriver. C’est un châtiment : qui en doute ? Or, tout châtiment, s’il est juste, est la peine du péché et s’appelle supplice. Que si la peine est injuste, comme personne ne doute que c’en soit une, elle est imposée à l’homme par une domination injuste. Mais comme ce serait une folie de douter de la justice et de la toute-puissance de Dieu, cette peine est juste, et elle a été méritée par quelque péché. Car aucune domination injuste n’a pu, pour livrer l’homme aux tortures d’un châtiment injuste, le soustraire à Dieu à son insu ou le lui arracher malgré lui et comme de force, par la terreur ou par la victoire. Il faut donc s’arrêter à croire que ce juste châtiment vient de l’arrêt qui condamne l’homme[7]. » Je dis aussi en un autre endroit : « Approuver le faux, le prendre pour le vrai, se tromper malgré soi, et devant les

  1. Liv. II, C. XIX, n. 50.
  2. Ibid. C. XX, n. 54.
  3. 1 Tim. I, 13.
  4. Ps. XXIV, 8.
  5. Rom. VII, 15-18.
  6. Galat. V, 17.
  7. Liv. III, C. XVIII, n. 50-51.