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OUVRAGES COMPOSÉS AVANT L’ÉPISCOPAT.

sion. Ainsi, par exemple, dans le premier livre, j’ai dit que la justice de Dieu tirait vengeance des méfaits, et j’ai ajouté : « Ces méfaits ne seraient pas punis justement, s’ils n’étaient pas l’œuvre de la volonté[1]. » Comme, de plus, je démontrais que la bonne volonté elle-même est un grand bien, et si grand, qu’il est à bon droit préférable à tous les biens corporels et extérieurs, j’ai dit : « Vous voyez déjà, je pense, qu’il dépend de notre volonté de jouir ou d’être privés d’un bien si vrai et si grand ; qu’y a-t-il en effet qui soit autant dans la volonté que la volonté elle-même[2] ? » Et ailleurs : « Pourquoi donc, je le demande, songerions-nous à douter que, n’eussions-nous jamais été sages auparavant, c’est par la volonté que nous méritons et que nous menons une vie louable et heureuse, comme c’est par la volonté que nous méritons et que nous menons une vie honteuse et misérable[3] ? » Dans un autre endroit encore : « Il suit de là, je le répète, que quiconque veut vivre régulièrement et honnêtement, s’il s’attache à ce vouloir par préférence aux choses passagères, acquiert un si grand bien avec tant de facilité, qu’il ne lui faut, pour avoir ce qu’il a voulu, que le vouloir[4]. »

Ailleurs, j’ai dit aussi : « Cette loi éternelle, à la considération de laquelle il est temps de revenir, a établi avec une fermeté inébranlable que le mérite est dans la volonté, la récompense et le supplice dans la béatitude et la misère[5]. » Et ailleurs : « Ce que chacun choisit de suivre et d’embrasser, est positivement au pouvoir de la volonté[6] » Dans le second livre : « L’homme lui-même, en tant qu’homme, est quelque chose de bon, puisque, quand il veut bien vivre, il le peut[7]. » J’ai dit encore en un autre endroit : « Rien ne se peut faire de bien sans le libre arbitre de la volonté[8]. » Dans le troisième livre : « Qu’est-il besoin de chercher d’où vient ce mouvement qui éloigne la volonté du bien immuable et l’entraîne au bien passager ; puisque nous avouons qu’il ne saurait être qu’un mouvement de l’âme, mouvement volontaire, et par suite mouvement coupable ; et tout ce qu’on peut enseigner d’utile là-dessus n’a pour effet que de nous faire condamner et comprimer ce mouvement pour diriger notre volonté vers la jouissance du bien éternel en la relevant des chutes vers les choses temporelles[9] ? » Et ailleurs : « Votre réponse est le cri de la vérité même ; autrement vous ne pourriez sentir qu’il n’y a en notre puissance que ce que nous faisons quand nous le voulons. Aussi n’est-il rien tant en notre pouvoir que la volonté même. Car aussitôt que nous voulons, elle est là sous la main et sans retard[10]. » De même, en un autre endroit : « Si vous êtes loué de voir ce que vous devez faire, bien que vous ne le voyiez que dans Celui qui est l’immuable vérité, combien plus louable est Celui qui a ordonné de vouloir, qui en a donné le pouvoir et qui ne permet point qu’on ne veuille pas impunément ? » Et j’ai ajouté : « Si chacun doit ce qu’il a reçu et si l’homme est ainsi fait qu’il pèche par nécessité, pécher est un devoir pour lui. Donc quand il pèche, il fait ce qu’il doit. Mais c’est un crime de parler de la sorte ; personne n’est donc par sa nature nécessité à pécher[11]. » Et encore : « Quelle pourrait être avant la volonté, la cause de la volonté ? En effet, ou c’est la volonté même, et on ne se sépare pas de cette racine de la volonté ; ou bien ce n’est pas la volonté, et alors elle est sans péché. Donc, ou la volonté est la cause première du péché, ou la cause première du péché n’est pas un péché, et on ne peut imputer le péché si ce n’est au pécheur. On ne peut donc imputer le péché qu’à celui qui l’a voulu[12]. » Et un peu plus loin : « Qui pèche en un acte dont on ne peut aucunement se garder ? Or on pèche ; donc on peut s’en garder[13]. » Voilà le témoignage que Pélage m’a emprunté dans un de ses livres ; j’ai répondu à ce livre et j’ai voulu que mon traité eût pour titre : De la Nature et de la Grâce.

4. Dans celles de mes paroles que je viens de citer et dans d’autres semblables, comme il n’est point fait mention de la grâce de Dieu, dont il ne s’agissait pas alors, les Pélagiens estiment ou peuvent estimer que nous avons professé leurs sentiments : erreur. C’est par la volonté que l’on pèche et que l’on vit bien ; nous l’avons démontré dans ces passages. Donc si par la grâce de Dieu la volonté elle-même n’est délivrée de la servitude qui La fait esclave du péché, et aidée à dompter les vices, les hommes ne peuvent vivre ni avec piété ni avec

  1. Liv. I, C. I, n. 1.
  2. Ibid. C. XII, n, 26.
  3. Ibid. C. XIII, n. 28.
  4. Ibid. n. 29.
  5. Ibid. C. XIV, n. 30.
  6. Ibid. C. XVI, n. 34.
  7. Liv. II, C. I, n. 2.
  8. Ibid. C. XVIII, n. 47.
  9. Liv. III, C. I, n. 2.
  10. Ibid. C. III, n. 7.
  11. Ibid. C. XVI, n. 46.
  12. Ibid. C. XVII, n. 49.
  13. Ibid. C. XVIII, n. 50.