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LES RÉTRACTATIONS. — LIVRE PREMIER.

s’est-il pas trompé en ce qu’il a dit qu’il y a un monde intelligible ; si toutefois nous avons soin de faire attention à la chose même et non à un mot qui, sur cette matière, n’est pas dans les habitudes de l’Église. Il a appelé monde intelligible cette raison éternelle et immuable par laquelle Dieu a fait le monde. Si on niait cette raison, il faudrait admettre que Dieu a fait ce qu’il a fait sans raison, ou bien que, pendant qu’il le faisait ou avant qu’il le fit, il ne savait pas ce qu’il faisait ; ce qui serait arrivé s’il n’y avait pas eu en lui la raison de le faire. Que si au contraire cette raison était en lui, ce dont on ne saurait douter, c’est elle que Platon paraît avoir voulu désigner sous le nom de monde intelligible. Toutefois, si nous eussions été assez avancé déjà dans les sciences ecclésiastiques, nous ne nous fussions pas servi de ce terme.

3. Il me déplaît aussi qu’après avoir dit : « Le plus grand soin doit être apporté aux bonnes mœurs, » j’aie ajouté bientôt après : « Car autrement notre Dieu ne pourrait nous exaucer : tandis que ceux qui vivent bien, il les exaucera très-facilement[1] » On pourrait inférer de ces paroles que Dieu n’exauce pas les pécheurs. Quelqu’un a dit cela dans l’Évangile, mais il ne connaissait pas encore le Christ, qui déjà lui avait ouvert les yeux du corps[2]. Je suis au regret d’avoir donné tant de louanges au philosophe Pythagore[3]. Celui qui les écouterait ou les lirait, pourrait penser que je crois qu’il n’y a point d’erreurs dans la doctrine pythagoricienne, au lieu qu’il y en a de nombreuses et de capitales.

Cet ouvrage commence ainsi : « L’ordre des choses, mon cher Zénobe. »


CHAPITRE IV.

les deux livres des soliloques


1. En même temps j’écrivis, sous l’inspiration de mon zèle et de mon amour, deux livres pour chercher la vérité sur des choses que je désirais surtout connaître, m’interrogeant et me répondant, comme si nous étions deux, la raison et moi, quoique je fusse seul. C’est pour cela que j’ai nommé ce traité Soliloques ; mais il est resté imparfait ; et cependant le premier livre recherche et montre ce que doit être celui qui veut posséder la sagesse, cette sagesse qu’on perçoit non pas par les sens, mais par l’intelligence : et à la fin de ce même livre il est établi par une certaine argumentation que ce qui est vrai est immortel. Dans le second, il est longtemps question de l’immortalité de l’âme, mais la discussion n’est pas menée complètement à fin.

2. Dans ces livres, je n’approuve pas ce que j’ai dit dans une prière : « Dieu qui n’avez voulu faire savoir la vérité qu’aux cœurs purs[4] ». Car on peut répondre que beaucoup de gens qui n’ont pas le cœur pur savent beaucoup de vérités ; et je ne définis pas ici quel est le genre de vérité que les cœurs purs peuvent seuls connaître ; je ne définis pas non plus ce que c’est que savoir. De même pour ce passage : « Dieu, dont le royaume est tout le monde qu’ignorent les sens[5] ; » il fallait ajouter, s’il est question de Dieu : « Vous qu’ignorent les sens d’un corps mortel.» Et s’il est question du monde que les sens ignorent, c’est-à-dire du monde futur formé d’un ciel nouveau et d’une terre nouvelle, il fallait y ajouter aussi : les sens d’un corps mortel. Mais je me servais encore de cette manière de parler qui attache au mot de « sens » la signification de sens corporels. Aussi n’ai-je pas à revenir sans cesse sur les remarques que j’ai faites plus haut à ce sujet[6] ; on voudra bien s’y reporter chaque fois que pareille locution se présentera dans mes ouvrages.

3. Quand j’ai dit du Père et du Fils : « Celui qui engendre et celui qu’il engendre est un[7] ; »je devais dire sont un, comme la divine Vérité le dit elle-même : « Mon Père et moi nous sommes un[8]. » Il me déplaît aussi d’avoir dit que dans cette vie l’âme, en con naissant Dieu, est déjà bienheureuse, à moins que ce ne soit en espérance. De même, ce passage est mal sonnant : « Il n’y a pas qu’une seule voie qui mène à la sagesse[9]. » Car il ne peut y avoir d’autre voie que le Christ qui a dit : « Je suis la voie[10]. » J’aurais dû éviter d’offenser ici les oreilles religieuses ; quoique pourtant autre soit cette voie universelle, autres les voies

que chante le Psalmiste : « Faites-moi connaître vos voies, Seigneur, et enseignez-moi vos sentiers[11]. » Ensuite lorsque j’ai écrit : « Il faut absolument fuir ces choses[12], » je devais prendre garde de paraître incliner vers la fausse maxime de Porphyre qui affirme

  1. Liv. II, C. XX, n. 52.
  2. Jean, IX, 30, 31.
  3. Liv. II, C. XX, n. 53.
  4. Liv. I, C. I, n. 2.
  5. Ibid. C. I, n. 3.
  6. Rétr. Liv. I, C. I et III.
  7. Lib. I, c. I, n. 4.
  8. Jean, X, 30.
  9. Liv. I, C. XIII, n. 23.
  10. Jean, XIV, 6.
  11. Ps. XXIV, 4.
  12. Liv. I, n. XXV, n. 24.