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chapitre cinquante-cinquième.

de Pavie, l’Arche ou le monument en marbre élevé par les ermites de saint Augustin vers le milieu du quatorzième siècle. Combien de vicissitudes[1] a subies cette Arche qui surpasse en mérite, en beauté tous les monuments de ce genre appartenant à des dates antérieures ! À Naples le tombeau de Robert d’Anjou et le tombeau de Marie de Sencia d’Aragon par Massuccio ; à Perugia le tombeau de Benoît XI par Jean de Pise ; à Bologne le tombeau de saint Dominique par Nicolas de Pise ; à Milan le monument de saint Pierre, martyr, par Balduccio, ne révèlent pas autant de progrès et de génie que l’arche de Pavie. La statue de saint Augustin, en habits pontificaux couché et mort, la tête appuyée sur un oreiller, est la plus belle statue de l’Arche et aussi la plus belle statue des vieilles époques de l’Italie. On ignore quel fut le maître qui créa le monument ; il a laissé perdre son nom dans la gloire de l’évêque d’Hippone. En 1832, le jour, où, par les soins du vénérable évêque monseigneur Tosi, le monument et les reliques de saint Augustin furent placés dans la cathédrale de Pavie, la piété publique, l’enthousiasme et les illuminations donnèrent à la ville un grand air de fête.

Chassés tour à tour de leur sépulcre par l’arianisme et par l’islamisme, les ossements de saint Augustin ont partagé la destinée de la religion catholique en Orient. Lorsque les armes de nos aïeux soumettaient l’Asie, elles ouvraient le chemin par où les restes du grand docteur devaient revenir à Hippone ; lorsque saint Louis mourait à Tunis, d’immortelles semences de civilisation pour l’Afrique s’échappaient de sa funèbre couche, et les os du grand évêque tressaillaient dans leur sanctuaire de Pavie. Et quand la maison de Bourbon, la plus illustre maison de l’univers, achevait en 1830 l’œuvre de saint Louis et faisait plus que n’avait pu faire Charles-Quint, elle préparait pour saint Augustin un nouveau sépulcre à Hippone ! Il y a treize siècles, des évêques catholiques fugitifs traversaient la mer avec le dépôt sacré qu’on était forcé d’arracher à la terre natale ; au mois d’octobre 1842, c’étaient des évêques catholiques français, libres et heureux, qui, portés sur la même mer, rendaient à sa patrie le plus grand de leurs prédécesseurs dans le ministère épiscopal ! Quel rapprochement ! et quelle gloire pour la France !

Oh ! combien est belle la mission de la France ! La France a été faite pour être la tête et le cœur du monde ; il lui appartient de régner sur les peuples par la double puissance de l’intelligence et des sentiments religieux. Notre courage a étonné les hommes, notre génie les a éclairés, notre foi a soutenu leur foi : que reste-t-il de ce magnifique empire ?… Notre société sans élan, sans énergie morale, met son ardeur à tourmenter la matière pour en tirer toutes les joies et tous les biens. Enfoncés dans les intérêts grossiers, nous ressemblons à une société de mineurs, séparés de l’air pur, séparés des splendeurs du ciel, et cherchant de l’or dans les ténébreuses profondeurs de la terre. C’est une belle et puissante chose que l’industrie qui semble prêter une âme à la matière, la transforme, lui imprime le mouvement et la fécondité, et multiplie sur chaque point du globe les trésors des nations ; mais l’industrie ne doit pas absorber l’âme humaine. La pensée religieuse est une chose bien autrement belle et puissante, car elle enlève l’homme aux étroites dimensions qui séparent un berceau d’une tombe, l’associe à ce qu’il y a d’impérissable dans l’essence divine, et d’avance le met en possession de la plus haute destinée qu’il soit possible de concevoir. Les grands hommes chrétiens semblent pouvoir nous faire toucher le ciel, comme les grands sommets des Alpes, du Taurus et du Liban. Saint Augustin resplendit à la tête de ceux dont la plume ouvre la porte des vérités immortelles. Sa parole, c’est la manne que Moïse fit conserver dans un vase d’or pour servir de monument à la postérité.

Depuis le commencement de cet ouvrage, à mesure que les questions se sont présentées, nous avons montré la grande part d’influence de saint Augustin dans le mouvement intellectuel et religieux du genre humain, et nous avons entendu la voix des siècles chanter

  1. L’histoire de l’Arche de saint Augustin, les dessins et la description du monument se trouvent dans une Notice in-folio, écrite en italien, que nous avons sous les yeux, et qui fut publiée à Pavie en 1832. Ce fut en 1695 qu’on retrouva dans l’église de Saint-Pierre au Ciel-d’Or une tombe de marbre, avec ce mot : Augustinus, renfermant une châsse d’argent où reposaient des ossements et des cendres. L’évêque de Pavie, les frères ermites, beaucoup de savants et d’hommes considérables du pays, reconnurent les reliques de saint Augustin. Mais la question de la découverte donna lieu à une vive polémique. Une bulle du pape intervint dans les débats et proclama l’authenticité des reliques. Il y eut aussi une grande dispute sur la possession de l’Arche entre les chanoines de Pavie et le conseil municipal de cette ville. L’évêque, le chapitre et la municipalité ont chacun les clefs du monument.