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chapitre troisième.

non-seulement à vous, qui avez ardemment désiré voir cette inconnue, mais à votre ennemi même, à cet ennemi dont les poursuites sont peut-être pour vous d’utiles épreuves, plutôt que des empêchements. Certainement, il aurait aussitôt dédaigné, quitté les charmants jardins, les délicats et brillants banquets, les histrions domestiques, tout ce qui, jusque-là, l’avait séduit, et, pieux et doux amant, il aurait volé tout ravi vers cette beauté, etc. »

Une semaine après les entretiens renfermés dans le premier livre, la dispute recommença. Le ciel était serein et promettait un beau jour ; on se leva de meilleure heure ; la matinée fut employée à lire, pour le compte d’Alype, la séance philosophique qui avait eu lieu en son absence, et puis la jeune troupe retourna au logis.

Licentius, chargé de la défense des Académiciens, prie Augustin de lui expliquer, avant le dîner, tout le système de ces philosophes, afin que rien d’important dans sa cause ne lui échappe. Le maître lui répond en riant qu’il est d’autant plus disposé à satisfaire son désir, que Licentius en dînera un peu moins. « Ne vous fiez pas à cela, répond le fils de Romanien, car j’ai remarqué plusieurs personnes, et particulièrement mon père, qui ne mangeaient jamais mieux que quand leur esprit était rempli de soins et d’affaires ; et, de plus, lorsque j’ai la tête bien pleine de poésie, « mon application ne met pas votre table en sûreté[1]. »

Les Académiciens, d’après l’exposition d’Augustin, croyaient que l’homme était impuissant à connaître les choses qui ont rapport à la sagesse ; que l’homme, cependant, pouvait être sage, que tout son devoir consistait à chercher la vérité ; d’où il fallait conclure que le sage ne devait donner créance à rien. Zénon, fondateur des stoïciens, avait établi que rien n’est plus heureux que de s’en tenir à des opinions incertaines. Les philosophes décidèrent alors que, puisqu’on ne pouvait rien connaître, et que le doute serait une honte, le sage ne devait jamais rien croire. Le soin de retenir et de suspendre son adhésion paraissait une assez grande occupation pour le sage.

Après dîner, Augustin reviendra sur ces questions.

La douceur et la magnifique sérénité de la journée invitaient à se rendre à la prairie ; la place accoutumée réunit les jeunes amis ; les entretiens prirent une tournure plus forte et plus haute avec Augustin et Alype, l’un chargé de combattre les Académiciens, l’autre de les défendre.

Alype compare la vérité à Protée, qu’on veut saisir et qui échappe sans cesse ; il pense aussi que la vérité ne peut être montrée à l’homme que par une certaine intervention divine.

Alype prie Augustin de ne plus procéder par interrogation, mais de parler en un discours suivi. Augustin y consent ; sa poitrine ne suffisait point à la fatigue de l’école de rhétorique ; mais il ne s’agit en ce moment que de se faire entendre de quelques amis ; sa santé n’en souffrira pas. La plume du secrétaire conduit et règle d’ailleurs la discussion, elle oblige de ne pas parler avec trop d’impétuosité et de chaleur, et vient ainsi au secours de la poitrine d’Augustin.

Zénon avait dit : « On ne doit accepter que ce qui ne peut avoir aucun signe commun avec la fausseté. » Là-dessus, Arcésilas soutint qu’on était incapable de rien connaître ; la proposition de Zénon devint sa règle. Mais, de deux choses l’une, ou la proposition de Zénon est vraie, et alors il existe quelque chose de vrai, ou elle est fausse, et pourquoi alors la nouvelle académie s’appuie-t-elle sur une opinion fausse ? De plus, si la proposition de Zénon est fausse, on peut donc connaître des choses vraies, quoiqu’elles aient des signes communs avec la fausseté.

Augustin met en présence les opinions philosophiques de Zénon, de Chrysipe et d’Épicure, passe en revue les subtilités par lesquelles l’esprit humain peut s’abuser, et démontre qu’il est en notre pouvoir de concevoir quelque chose et de nous élever à la connaissance de la sagesse. Il montre quelles absurdités, quels périls et quels crimes naîtraient d’une doctrine tendant à ravir à l’homme le sentiment de toute réalité. Arrivé à Platon, Augustin lui donne des louanges qu’il trouva plus tard exagérées[2], car le disciple de Socrate s’est trompé sur des points très-importants. Le fils de Monique indique les deux mondes de Platon, le monde intelligible où la vérité fait sa demeure, le monde visible aux yeux, accessible aux sens ; le premier est le monde véritable, le second le monde vraisemblable, tracé sur l’image du premier. Des hauteurs radieuses du premier descend la lumière qui éclaire l’âme humaine ;

  1. Livre II, chap. 4, Contre les Académiciens.
  2. Revue des ouvrages, livre I, n. 4.