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histoire de saint augustin.

visage de l’évêque, et entendre cette voix divine qui ne profère rien que de divin, Darius ne s’écrierait pas comme Virgile : Trois et quatre fois heureux, mais heureux mille et mille fois ! Si jamais un tel bonheur lui arrivait, il croirait recevoir, non pas du haut du ciel, mais dans le ciel même, les instructions qui mènent à l’immortalité ; il croirait les recevoir, non de loin et comme hors du temple de Dieu, mais au pied même du trône de sa gloire. À défaut de cette félicité, il s’est rencontré que deux évêques, Urbain et Novat, aient dit du bien de lui à Augustin. Leur témoignage a été comme une couronne magnifique qu’ils ont posée sur sa tête, couronne formée, non point de fleurs périssables, mais de pierreries d’une beauté qui ne passe pas. Darius demande à Augustin de prier pour lui, afin de pouvoir un jour ressembler au portrait qu’ils ont fait de son âme. La plus grande des peines de Darius, après celle de ne pas jouir encore de la vue de Dieu, était de ne pas avoir vu Augustin et de n’être pas connu de lui, et voilà qu’Augustin lui dit qu’il connaît sinon son visage, au moins son esprit et son cœur !

Augustin avait dit que Darius avait étouffé la guerre par la force de sa parole ; Darius en convient, et ajoute que s’il n’avait pas étouffé la guerre, il l’aurait au moins fort éloignée, et qu’il a écarté de menaçantes tempêtes ; il espère que la trêve deviendra une paix solide. Quoique Darius fût chrétien et que ses parents fussent chrétiens aussi, pourtant il n’avait pas tout à fait rompu avec les superstitions païennes ; il avoue à Augustin qu’il doit à ses ouvrages de s’être complètement séparé du paganisme. Darius le prie de lui envoyer un exemplaire de ses Confessions. Les dernières lignes de sa lettre[1] contiennent un ardent désir de recevoir une seconde lettre de l’évêque d’Hippone.

Les vœux de Darius ne tardèrent pas à être comblés. Dans une nouvelle lettre[2], Augustin parlait à Darius du plaisir que lui avait fait l’expression de ses sentiments. Ce n’est pas l’éloquence de cette lettre, ce ne sont pas les louanges de Darius dont le docteur se montre le plus touché : les éloges de tout le monde n’arrivent pas au cœur d’Augustin ; mais ce qui lui a plu dans la lettre de Darius, c’est d’avoir été loué par Jésus-Christ même. Dans un brillant festin en Grèce, on pria Thémistocle, un des convives, de jouer d’un instrument ; il s’en excusa, et témoigna peu d’empressement pour ces sortes de plaisirs : « Qu’aimez-vous donc ? » lui dit-on. « J’aime, répondit-il, à entendre dire du bien de moi. » Lorsqu’on lui demanda ce qu’il savait, Thémistocle répondit qu’il savait faire une grande république d’une petite. « Il n’y a personne, disait Ennius, qui n’aime à être loué. » Augustin trouve du bien, et du mal dans ce sentiment naturel à tous le hommes. Il faut se garder d’aller, jusqu’à la vanité : Horace, qui avait l’œil plus perçant qu’Ennius, disait : « Etes-vous malade de l’amour des louanges ? Certaines expiations pourront vous en guérir après une lecture de choix trois fois répétée[3].  » Les louanges des hommes ne doivent pas être le but de nos actions, mais il ne faut pas toujours les repousser ; les louanges données aux gens de bien sont utiles à ceux qui les donnent. L’Apôtre a fait entendre sur ce point de beaux enseignements. Une chose dans la lettre de Darius a surtout ravi l’évêque d’Hippone, c’est de voir que Darius est son ami. En lui envoyant les Confessions, Augustin lui dit : « Regardez-moi là dedans, de peur que vous ne me jugiez meilleur que je ne suis ; là c’est moi et non pas d’autres que vous écouterez sur mon compte ; considérez-moi dans la vérité de ces récits, et voyez ce que j’ai été lorsque j’ai marché avec mes seules forces ; si vous y trouvez quelque chose qui vous plaise en moi, faites-en remonter la gloire à celui que je veux qu’on loue, et non pas à moi-même. Car c’est Dieu qui nous a faits et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes ; nous n’étions parvenus qu’à nous perdre, mais celui qui nous a faits nous a refaits. Quand vous m’aurez connu dans cet ouvrage, priez pour moi afin que je ne tombe pas, mais afin que j’avance ; priez mon fils, priez. »

Le saint vieillard envoie à Darius, outre les Confessions, le livre de la Foi des choses invisibles, les livres de la Patience, de la Continence, de la Providence, et le livre de la Foi, l’Espérance et la Charité. Si Darius peut les lire tous durant son séjour en Afrique, il est supplié d’en dire son avis à Augustin, de le lui transmettre ou de le confier au vénérable Au-

  1. Il est question, dans la lettre de Darius, de la fameuse lettre d’Abgar et de la réponse de Jésus-Christ, rangée depuis longtemps au nombre des pièces apocryphes.
  2. Lettre 231. C’est la dernière lettre de saint Augustin dont la date soit connue. Elle doit être de la fin de l’année 429.
  3. Épit. I.