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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

Dans le deuxième chapitre du second livre contre les Académiciens, Augustin repasse les bienfaits dont Romanien l’a comblé, et raconte les mouvements de son âme qui ont précédé et accompagné sa conversion. Les Confessions ne furent écrites que quatorze ans après. Ce morceau est le premier récit qu’Augustin ait fait de sa transformation religieuse ; il y règne une émotion produite par la vivacité de récents souvenirs. Dans le récit net et détaillé de la conversion d’Augustin que renferment les Confessions nous reconnaissons un homme qui s’était paisiblement rendu compte de la révolution morale par laquelle Dieu l’avait fait passer ; le morceau du deuxième livre contre les Académiciens est l’épanchement rapide, ardent et familier du cœur d’Augustin dans le cœur d’un ami. Nous le traduisons en entier.

« Pauvre enfant que j’étais, dit Augustin à Romanien, lorsqu’il me fallut continuer mes études, vous me reçûtes dans votre maison, et, ce qui vaut mieux, dans votre cœur. Privé de mon père, votre amitié me consola, vos discours me ranimèrent, votre opulence vint à mon aide. Dans notre ville même, votre affection et vos bienfaits avaient fait de moi un personnage presque aussi considérable que vous. Lorsque, sans avoir confié mon dessein ni à vous, ni à aucun des miens, je voulus regagner Carthage pour trouver une condition plus haute, l’amour de notre patrie commune (Thagaste) où j’enseignais, vous fit hésiter à m’approuver ; cependant, dès que vous comprîtes qu’il n’était plus possible de vaincre le violent désir d’un jeune homme marchant vers ce qui lui paraissait meilleur, votre merveilleuse bienveillance changea l’avertissement en appui. Vous fournîtes tout ce qui était nécessaire à mon voyage ; vous qui aviez protégé le berceau et comme le nid de mes études, vous soutîntes l’audace de mon premier vol. Quand je me mis en mer en votre absence et sans vous prévenir, vous ne vous offensâtes point d’un silence qui n’était point dans mes habitudes à votre égard, et vous demeurâtes inébranlable dans votre amitié ; vous songeâtes moins aux disciples abandonnés par leur maître qu’à la secrète pureté de mes intentions.

« Enfin, toutes les joies du repos où je suis, mon affranchissement heureux des désirs superflus, des choses périssables, la liberté de mon souffle et de ma vie et mon retour à moi-même, le plaisir de chercher la vérité, le bonheur de la trouver, tout est le fruit de vos soins, tout est votre œuvre. La foi, mieux que la raison, m’a appris de qui vous étiez le ministre. Après vous avoir exposé les sentiments intérieurs de mon âme, et vous avoir répété que je regardais comme le sort le plus doux le loisir de se livrer à l’étude de la sagesse, et comme la plus heureuse vie celle qui s’écoulait dans la philosophie ; après vous avoir fait entendre que mon existence dépendait de mon emploi de professeur, que des nécessités et des craintes vaines me retenaient, le désir d’une vie semblable à celle que je souhaitais enflamma votre cœur ; vous disiez que si vous veniez à briser les liens de ces procès importuns, vous vous hâteriez de briser mes propres chaînes en me faisant participer à vos biens.

« Vous partîtes avec le feu qui brûlait déjà dans mon cœur ; nous ne cessâmes point de soupirer après la philosophie et de penser au genre de vie qui nous plaisait tant : il y avait pourtant plus de constance que de vivacité dans nos désirs. Nous imaginions faire assez. Comme la flamme qui devait nous dévorer n’était pas encore allumée, nous trouvions excessives les faibles atteintes que nous sentions. Mais voilà que certains livres vinrent répandre sur nous les bons parfums d’Arabie, comme dit Celsinus ; aux premières gouttes de ces parfums précieux, à ces premières étincelles, il est incroyable, Romanien (la réalité est ici bien au-dessus de toutes vos obligeantes pensées), il est incroyable, dis-je, à quel incendie je fus livré tout à coup ! Honneurs, grandeur humaine, désir de la renommée, intérêt de la vie, plus rien ne me touchait ; c’est en moi que je revenais sans cesse, en moi que mes courses recommençaient toujours. Je regardais en chemin, je l’avoue, cette religion qui nous fut plantée et profondément imprimée au cœur dès notre enfance : c’est elle-même qui, à mon insu, m’entraînait à elle ; chancelant et tristement incertain, je saisis donc le livre de l’apôtre Paul : Ces hommes-là, me dis-je, n’auraient pas accompli d’aussi grandes choses, et n’auraient pas vécu comme ils ont vécu, si leurs écrits et leurs sentiments avaient été contraires à ce grand bien. Je lus Paul tout entier, très-attentivement et avec une grande application.

« Alors, à la faveur d’un faible rayon de lumière, la philosophie se découvrit à moi, sous une forme telle que j’aurais voulu la montrer