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chapitre cinquante-troisième.

On doit travailler au salut avec crainte et tremblement, selon la parole de l’apôtre[1], puisque personne ne peut savoir ce qui l’attend au delà de la vie. D’un côté, l’Écriture nous marque en traits évidents les dons de la prédestination et de la persévérance ; de l’autre, elle nous présente à chaque page des exhortations, des corrections, des remontrances. Cette vocation éternelle ne rend donc pas inutiles le ministère de la prédication et la pratique des vertus. En traitant de la persévérance, Augustin ne pouvait pas oublier que les larmes fidèles et persévérantes de sa mère l’avaient empêché de périr.

Dans ses enseignements et sa polémique, l’évêque d’Hippone ne prétend point faire violence aux intelligences ; il ne demande pas qu’on embrasse ses avis en tolite chose, mais seulement sur les points où l’on verra qu’il ne s’est pas trompé. « Je fais maintenant, dit-il, des livres qui sont une révision de mes écrits, pour montrer que je ne me fais pas une loi de me suivre toujours moi-même ; je crois qu’avec l’aide de Dieu je suis allé en profitant ; mais je sais que je n’ai pas commencé par la perfection ; je serais plus présomptueux que vrai, si je disais que maintenant même, à l’âge où je suis, je puis écrire sans aucune erreur. Mais il importe de voir de quelle manière et en quoi l’on se trompe, si on est facilement disposé à se corriger, et si on défend son erreur avec opiniâtreté. Celui-là est homme de bonne espérance, qui profite jusqu’au dernier jour de sa vie, de manière à gagner ce qui lui manque, et à être plutôt jugé digne d’être complété que d’être puni[2]. »

Le saint docteur s’attache à dire comprendre, en terminant, qu’après tout cette prédestination dont on s’épouvante si fort et dont on voudrait douter ; n’a rien de plus préoccupant que la prescience de Dieu acceptée par tout le monde, ou du moins impossible à nier. La doctrine de la prédestination n’enseigne pas le désespoir, mais la confiance en Dieu : l’homme, si misérable dans son orgueil, est-il un plus sûr appui de lui-même que le père qui est aux cieux ?

Les livres de la Prédestination des Saints et du Don de la Persévérance sont comme le pur froment de la doctrine catholique. On les lit avec un respect particulier et une sorte d’émotion religieuse, parce que ce sont les derniers ouvrages que saint Augustin ait achevés. Ils renferment la foi de l’Église avec toute la perfection que la parole humaine peut lui donner les conciles les ont signalés comme les oracles les plus complets de la vérité chrétienne sur ces matières.

Ainsi deux laïques avaient pris en main la défense de la foi menacée dans les Gaules méridionales, tandis que des prêtres et des évêques même se trompaient ! Dieu qui a changé la face du monde avec de pauvres et d’ignorants Galiléens, se sert parfois, à travers les âges, de ses moindres serviteurs pour redresser des serviteurs plus élevés. C’est ainsi que se resserrent les liens de la grande famille dont le Christ est le chef, et que la fraternité catholique se consolide.

Prosper et Hilaire, en appelant à leur secours le génie et l’autorité d’Augustin, attirèrent plus de lumières au sein de la société chrétienne des Gaules ; le jour se fit dans un grand nombre de consciences, et presque tous les évêques des Gaules reconnurent la vérité. Quelques prêtres entretenaient encore des divisions ; Prosper, par son livre contre Cassien, sa Réponse aux articles (Capitula) des Gaulois, sa Réponse aux objections de Vincent[3], et son autre Réponse aux extraits des Gennois[4], éclaira les ignorants et triompha des indociles ; il y avait alors un an que le grand homme d’Hippone avait quitté la terre, et son illustre disciple d’Aquitaine continuait victorieusement la lutte. Le voyage à Rome des deux laïques amena la lettre solennelle du pape Célestin, qui blâmait les évêques des Gaules, et portait aux cieux la sainte renommée, la science profonde et l’orthodoxie d’Augustin.

Prosper, le chantre de la grâce[5], que le fils de l’auteur d’Athalie devait imiter douze siècles plus tard, a mérité d’être appelé homme vraiment divin par le patriarche Photius ; le pape Gélase, à la tête d’un concile de soixante et douze évêques, a proclamé sa piété et sa religion. Nous n’avons pas à suivre les destinées du semi-pélagianisme dans les Gaules ; il nous suffira de rappeler que le concile d’Orange, en 528, sous la présidence de l’évêque d’Arles, confondit les semi-pélagiens avec les sentiments

  1. Philip., II, 12.
  2. Chap. 22.
  3. Ce Vincent était un prêtre des Gaules, qu’il ne faut pas confondre avec Vincent de Lérins.
  4. Ces ouvrages de saint Prosper se trouvent à la fin du tome x des Œuvres de saint Augustin.
  5. Saint Prosper est aussi auteur d’une chronique qui va jusqu’en 455.