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histoire de saint augustin.

Le comte lui dira peut-être : Mais qu’ai-je à faire dans une pareille situation ? Si c’est la conservation et même l’accroissement de ses richesses et de sa puissance qui préoccupent Boniface, Augustin ne saura quoi lui répondre : quel conseil certain peut-on lui donner pour des choses aussi incertaines ? Mais si le comte demande à être éclairé selon Dieu, l’évêque d’Hippone lui répondra qu’il ne faut pas aimer, mais mépriser les choses de ce monde, et qu’il ne sert de rien à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme. Le détachement de la terre, la lutte contre ses cupidités, la pénitence pour les maux passés, voilà le conseil qu’Augustin lui donnera : il appartiendra à sa force d’âme de le suivre. Le comte demandera encore comment il pourra sortir de tant d’engagements qui le lient l’évêque lui dit que Dieu l’exaucera dans la guerre contre ses ennemis invisibles, comme il l’avait exaucé tant de fois dans sa guerre contre les ennemis du dehors. Les biens de la vie, toutes les prospérités de la terre sont données indifféremment aux bons et aux méchants ; mais le salut de l’âme, l’honneur et la paix de l’éternité ne sont donnés qu’aux bons. Augustin recommande l’amour et la poursuite de ces biens impérissables, et l’invite à l’aumône, à la prière, au jeûne. Si Boniface n’avait point de femme, l’évêque l’exhorterait à vivre dans la continence, et le saint vieillard ajoute que si l’intérêt des choses humaines le permettait, il lui conseillerait de renoncer aux armes et de se retirer dans les pieuses retraites où les soldats du Christ livrent des batailles contre les princes, les puissances et les esprits du mal.

C’est ainsi qu’on parlait alors aux hommes puissants quand ils étaient chrétiens. La religion fut toujours courageuse, et l’évêque d’Hippone n’épargne aucune vérité ; il trace hardiment la ligne du devoir à ce Romain dont la vive susceptibilité venait de changer tout à coup la face de l’Afrique. Ce précepte du christianisme, qu’il faut rendre le bien pour le mal, est d’un grand effet dans la lettre d’Augustin à l’homme de guerre qui avait été joué par les manœuvres d’Aétius. Une touchante éloquence anime la parole de l’évêque d’Hippone ; Boniface lui paraît si coupable comme chrétien, si dangereux comme chef d’une vaste coalition africaine contre l’empire, qu’il voudrait le voir au fond d’un monastère ! Dans

ce passage de sa lettre, Augustin laisse presque percer une sorte de regret de l’avoir retenu à Tubunes dans l’accomplissement de son projet de vie monastique. Cette belle lettre de l’évêque d’Hippone, qui exprimait aussi les opinions des peuples catholiques d’Afrique, produisit une vive impression sur le cœur du comte Boniface ; elle fit naître en lui des sentiments généreux qui n’attendaient qu’une occasion pour éclater.

L’arianisme venait de faire irruption en Afrique avec les premiers pas des Vandales, et devait bientôt envahir cette terre tout entière. Il semble qu’Augustin ait pressenti l’invasion des doctrines d’Arius, car dix ans auparavant, il avait réfuté[1] article par article un discours en leur faveur qui s’était répandu dans Nippone ; il avait écrit aussi à un arien, homme puissant, le comte Pascentius, trois lettres[2] pour lui expliquer la doctrine de l’Église sur la Trinité, et une lettre au seigneur Elpide, qui eût bien voulu, disait-il, tirer Augustin de son erreur touchant le Fils de Dieu. Le médecin Maxime avait abjuré l’arianisme en présence des évêques d’Hippone et de Thagaste. Les efforts du grand docteur prémunissaient ainsi la foi des catholiques africains contre des périls futurs.

En 428, la question de l’arianisme se présenta d’une façon plus sérieuse qu’auparavant dans la personne de Maximin, évêque de cette secte, venu à Hippone avec le comte Ségisvult et sa troupe de Goths mis au service de la troupe impériale. Une conférence[3] avec Maximin, commencée par le prêtre Eraclius, et continuée par Augustin, donna lieu à d’importants débats ; l’assemblée était nombreuse des notaires recueillaient la discussion. Interrogé sur sa foi touchant le Père, le Fils et le Saint-Esprit, Maximin répondit que sa profession de foi était celle du concile de Rimini[4] soutenu par cent trente évêques ; il confessa un seul Dieu Père, qui n’a reçu la vie de personne un seul Fils qui a reçu du Père son être et sa vie ; un seul Saint-Esprit consolateur, qui illumine et sanctifie les âmes. Pressé

  1. Livre contre le Sermon des Ariens. Tome viii, p. 626, édition des Bénédictins.
  2. Ces lettres sont classées parmi celles dont la date n’est pas connue. Pascentius, battu par saint Augustin dans la dispute sur l’arianisme, trouva le moyen de tout dénaturer à son profit ; mais saint Augustin rétablit les faits et la vérité.
  3. Collatio cum Maximino, t. viii, p. 650. Possidius raconte la conférence avec Maximin, dans le dix-septième chapitre de la Vie de saint Augustin.
  4. L’Église a rejeté le concile de Rimini.