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chapitre cinquante-deuxième.

et que sa seconde femme était une arienne. Elle s’appelait Pélagie, et descendait, selon quelques savants[1], des rois Vandales. On disait que l’entrée de Pélagie dans la foi catholique avait été une condition de ce mariage, mais cette condition n’était qu’une vaine espérance. Une fille de Boniface, née de son union avec Pélagie, avait été baptisée par les ariens. Le comte, ajoutait-on, avait souffert que les ariens rebaptisassent des vierges catholiques, et, pour comble de désordre, il donnait le scandale d’une violation publique de la foi conjugale : mais Augustin espérait que ces dernières énormités n’étaient que des calomnies.

Si l’évêque d’Hippone n’avait point affaire à un chrétien éclairé, que de choses il aurait à dire à Boniface ! Il presse donc le comte de se servir de sa lumière pour se juger et se repentir. Que de malheurs ont suivi son second mariage ! « Considérez vous-même ce que je ne veux pas vous dire, continue Augustin, et vous trouverez de quels maux il vous faut faire pénitence ! » Ces maux étaient l’arrivée des barbares. « Vous dites que vous avez eu de justes raisons pour agir ainsi, ajoute Augustin ; je n’en suis pas le juge, parce que je ne puis entendre les deux parties ; mais quelles que soient vos raisons dont il n’est pas besoin de s’occuper ni de disputer en ce moment, pouvez-vous nier devant Dieu que vous ne seriez pas arrivé à cette nécessité, si vous n’aviez point aimé les biens de ce monde, ces biens que vous auriez dû mépriser et compter pour rien, en demeurant fidèle à votre pieux dessein de servir Dieu ? Et pour dire un seul mot de ces choses, qui ne voit que ces hommes unis à vous dans la défense de votre pouvoir et de votre vie, quelque inébranlable que soit leur fidélité, désirent cependant parvenir, grâce à vous, à ces avantages chers à leur cœur, non selon Dieu, mais selon le monde : ainsi donc, vous qui auriez dû refréner et dompter vos propres cupidités, vous êtes forcé de rassasier les cupidités d’autrui. » Augustin fait entendre à Boniface que toutes les ambitions remuées autour de lui ne se trouveront jamais suffisamment repues, et que des atrocités doivent sortir de leurs mécontentements : il lui montre les dévastations déjà accomplies.

« Que dirai-je, poursuit Augustin, que dirai-je de l’Afrique dévastée par les barbares mêmes de l’Afrique, sans que personne les arrête ? Sous le poids de vos propres affaires, vous ne faites rien pour détourner ces malheurs. Quand Boniface n’était que tribun, il domptait et contenait toutes ces nations avec une poignée d’alliés ; qui aurait cru que Boniface, devenu comte et établi en Afrique, avec une grande armée et un grand pouvoir, les barbares se seraient avancés avec tant d’audace, auraient tant ravagé, tant pillé, et changé en solitudes tant de lieux naguère si peuplés ? N’avait-on pas dit que, dès que vous seriez revêtu de l’autorité de comte, les barbares de l’Afrique ne seraient pas seulement domptés, mais tributaires de la puissance romaine ? Vous voyez maintenant ce que sont devenues les espérances des hommes ; je ne vous en parlerai pas plus longtemps : vos pensées sur ce point peuvent être plus abondantes et plus fortes que nos paroles. Mais peut-être me répondrez-vous qu’il faut plutôt imputer ces maux à ceux qui vous ont blessé[2], et qui ont payé par d’ingrates duretés vos courageux services. Ce sont là des choses que je ne puis ni savoir ni juger ; voyez et examinez vous-même, non pas pour savoir si vous avez raison avec les hommes, mais si vous avez raison avec Dieu. »

Augustin cherche plus haut que des démêlés politiques la cause des maux tombés sur l’Afrique : il croit la voir dans les péchés des hommes. Il ne voudrait pas que Boniface fût de ceux dont Dieu se sert pour châtier les méchants sur la terre. L’évêque d’Hippone offre aux méditations du comte l’exemple du Christ qui apporta aux hommes tant de biens et en reçut tant de maux ; ceux qui souhaitent appartenir à son divin royaume aiment leurs ennemis, font du bien à ceux qui les haïssent et prient pour leurs persécuteurs. Si le comte a reçu des bienfaits de l’empire romain, bienfaits terrestres et passagers comme l’empire lui-même, il ne doit point lui rendre le mal pour le bien ; s’il en a reçu des maux, ce ne sont pas des maux qu’il doit lui rendre. Augustin ne veut et ne doit point s’inquiéter de savoir ce que Boniface a reçu en réalité ; c’est à un chrétien qu’il parle, et le chrétien ne rend ni le mal pour le bien, ni le mal pour le mal.

  1. Baronius.
  2. Il s’agit ici très-évidemment de la conduite de l’impératrice Placidie et d’Aétius à l’égard de Boniface.