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histoire de saint augustin.

horrible. Boniface demeura donc à son poste, et ce fut alors qu’Aétius put sans peine convaincre Placidie de la rébellion du gouverneur de l’Afrique. Bientôt le comte se vit menacé de toutes les forces de l’Occident, commandées par Aétius lui-même.

Les blessures que l’injustice fait au cœur sont toujours les plus profondes ; l’amer ressentiment qu’on éprouve est de nature à pousser aux inspirations du désespoir. En présence du violent orage dirigé contre lui, sans avoir rien fait pour mériter de telles colères, Boniface songea aux Barbares, ces instruments de toutes les vengeances divines et humaines. Il expédia à Gonderic, roi des Vandales, un messager fidèle, chargé de lui offrir l’alliance du comte et le tiers des possessions romaines dans l’opulente Afrique : de pareilles propositions n’étaient jamais refusées. En voyant le messager de Boniface, les Vandales croyaient déjà apercevoir les fécondes et magnifiques contrées promises à leur bravoure. La mort de Gonderic, qui mit Genseric à leur tête, vint donner à l’entreprise de terribles conditions de succès. L’armée vandale, mêlée de Goths, d’Alains et d’hommes d’autres nations, évaluée à cinquante mille combattants, passa d’Espagne en Afrique, au mois de mai 428 ; les Espagnols, heureux d’être délivrés d’hôtes aussi redoutables, fournirent avec un joyeux empressement les navires, pour franchir le détroit de Gibraltar.

Divers alliés que le génie de Boniface avait tirés de l’intérieur de l’Afrique étaient venus ajouter aux forces du gouverneur romain dont la trahison venait de faire un révolté. Trois généraux de l’empire furent mis en déroute ; mais ces défaites, qui diminuaient les forces romaines, n’étaient qu’un déplorable acheminement vers lexclusive domination des Barbares.

On se demande ici quelle était l’attitude d’Augustin vis-à-vis de l’homme, son ami, que les décrets de l’empire venaient de déclarer ennemi public. À la fin de l’année 427, Boniface était allé le visiter à Hippone ; mais le saint évêque se trouvait alors si souffrant, qu’il n’eut pas même assez de force pour lui adresser la parole. Depuis ce temps, Augustin n’avait point vu Boniface et n’avait pu lui écrire. Il n’était plus facile de garder des relations avec le comte ; on eût été frappé de suspicion pour la moindre trace de correspondance avec le rebelle. L’évêque d’Hippone gémissait des maux qui commençaient à désoler l’Afrique, et surtout des maux plus grands encore qui la menaçaient ; il attendait une occasion sûre pour donner d’utiles conseils à son ami. Cette occasion se présenta : le diacre Paul fut chargé d’une lettre[1] qui est un monument historique d’un grand prix. En voici la substance :

Durant la maladie et quelque temps après la mort de sa première femme, Boniface avait eu le désir de quitter le monde et de se consacrer entièrement à Dieu ; il confia ce dessein à Augustin, en présence d’Alype, dans un secret entretien qui eut lieu à Tubunes. L’évêque d’Hippone le détourna de son projet par des raisons tirées de l’intérêt de l’empire, et aussi de l’intérêt de la religion elle-même ; il pensait qu’en demeurant à la tête des troupes romaines, dans les provinces d’Afrique, Boniface rendrait plus de services à la religion qu’en embrassant la vie monastique ; l’épée du comte pourrait être une puissante protection contre les barbares, et l’Église d’Afrique en retirerait du repos et de la sécurité. Quant à ses penchants vers une vie plus pieuse, Boniface pourrait s’y livrer par une ferme résolution de garder désormais la continence ; et dans ce cas il lui faudrait s’armer intérieurement contre les tentations, autant et plus qu’il avait besoin de s’armer extérieurement contre les barbares. On s’était séparé à Tubunes dans la vive adoption de ces pensées.

Une remarque s’offre naturellement à l’esprit : si l’évêque d’Hippone avait laissé Boniface obéir à son goût pour la vie monastique, à son pieux dessein né tout à coup de la douleur, les Vandales ne se seraient pas aussitôt précipités sur l’Afrique. Cependant le conseil d’Augustin n’en fut pas moins dicté par une profonde sagesse et un intelligent amour de l’empire et de la foi catholique : nul génie ne pouvait prévoir alors les événements à la suite desquels Boniface ouvrit le passage aux Vandales.

Augustin, resté avec le souvenir de l’entrevue et des résolutions de Tubunes, fut bien douloureusement surpris en apprenant que Boniface avait passé la mer et s’était remarié,


    échappés au temps. Mérobaudes, comme Claudien, vit sa statue s’élever dans le forum de Trajan. M. Beugnot (Histoire de la Destruction du paganisme), a donné d’intéressants détails sur ce poète païen, qui fut général des troupes romaines en Espagne.

  1. Lettre 220.