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histoire de saint augustin.

Noris, appelait la clef de la doctrine de saint Augustin sur la grâce, renverse particulièrement toutes les bases du jansénisme. Les idées du docteur d’Hippone sur la prédestination s’y trouvent développées pour la première fois.

En voulant se dérober à la correction, à la responsabilité personnelle des œuvres, sous prétexte que c’est toujours Dieu qui opère en nous, le moine d’Adrumet oubliait que l’opération divine n’accomplit point l’acte humain et ne soumet point notre volonté, mais seulement qu’elle invite, inspire et fortifie l’homme. Si l’inspiration d’une bonne volonté, d’une bonne couvre, vous manque, demandez-la à Dieu comme faisait saint Paul pour les fidèles Corinthiens[1]. C’est votre faute si vous êtes mauvais, priez Dieu qu’il vous rende meilleurs. La correction est un avertissement ; elle peut exciter la honte, la crainte, le respect, et ces divers sentiments sont de nature à déterminer d’heureuses résolutions. Vous convenez que vous avez reçu la foi, mais non point la persévérance ; demandez à Dieu cette persévérance ; c’est avec raison qu’on vous reprendra si vous ne l’avez plus, parce que vous l’aurez perdue par l’effet de votre volonté propre. Lorsque le Christ, dit Augustin, pria pour que la foi de Pierre ne pérît point, il ne demanda rien autre sinon que Pierre eût dans la foi une volonté très-libre, très-forte, très-invincible, très-persévérante. Voilà comment la liberté de la volonté humaine est défendue selon la grâce de Dieu et non point contre elle ; car, poursuit le grand docteur, la volonté humaine n’obtient point la grâce par la liberté, mais plutôt la liberté par la grâce : elle obtient, pour persévérer, une délectation perpétuelle et une force insurmontable[2].

Pourquoi, dira-t-on encore, s’occuper de corriger ou d’instruire ceux qui pèchent, puisqu’ils ne périront point s’ils sont prédestinés au salut éternel ? Augustin répond[3] que l’homme ici-bas ignore quelle part lui est réservée dans la vie future, quels sont ceux dont les noms sont inscrits au livre des prédestinés dans cette profonde ignorance où nous sommes, la correction et la prédication doivent s’étendre sur tous.

Ces simples et courtes explications que la lecture du livre de la Correction et de la Grâce a laissées dans notre esprit, peuvent suffire pour armer les gens du monde contre d’artificieux raisonnements. Bossuet[4] dit sur cette grande et difficile matière d’utiles paroles qui reviennent à notre mémoire :

« Quand on se jette dans l’abîme, on y périt. Combien ont trouvé leur perte dans la trop grande méditation des secrets de la prédestination et de la grâce ! il en faut savoir autant qu’il est nécessaire pour bien prier et s’humilier véritablement, c’est-à-dire qu’il faut savoir que tout le bien vient de Dieu, et tout le mal de nous seuls. Que sert de rechercher curieusement les moyens de concilier notre liberté avec les décrets de Dieu ? N’est-ce pas assez de savoir que Dieu, qui l’a faite, la sait mouvoir et la conduire à ses fins cachées, sans la détruire ?… Cette vie est le temps de croire, comme la vie future est le temps de voir ; c’est tout savoir, dit un Père[5], que de ne rien savoir davantage : Nihil ultra scire, omnia scire est. »

Nous devons noter, dans l’année 427, le retour à la foi catholique du moine Leporius, par la puissante intervention de notre docteur. Quelques savants ont confondu ce Leporius avec un prêtre de ce nom, qui assistait à l’acte d’élection du successeur d’Augustin, et que nous avons vu figurer dans un des sermons de l’évêque d’Hippone sur la vie et les mœurs des clercs. Celui dont il s’agit ici, originaire de Marseille, n’était point élevé à la dignité sacerdotale ; Augustin, dans sa lettre[6] à Proculus et à Cylinnius, évêques des Gaules, l’appelle son fils, et les évêques n’appliquaient cette désignation qu’à des laïques. Leporius avait nié l’incarnation du Fils de Dieu. Proculus, évêque de Marseille, qui a mérité les louanges de saint Jérôme, condamna et chassa des Gaules, de concert avec l’évêque Cylinnius, le moine rebelle contre l’enseignement de l’Église. Leporius, venu en Afrique, suivi de quelques complices de son erreur, rencontra l’homme qui, par sa science et sa parole persuasive, pouvait le mieux éclairer son intelligence et toucher son âme. Il se rétracta solennellement dans


    ment destiné aux hommes qui n’ont pas le temps de beaucoup lire on apprend à se juger et à se connaître dans ce Miroir, que Cassiodore appelle le livre de la philosophie morale. Il existe trois autres ouvrages du même titre attribués à saint Augustin, mais qui ne lui appartiennent pas.

  1. iiCorinth., xiii, 7.
  2. Chap. VIII, livre de la Correction et de la Grâce.
  3. Ibid., chap. 15 et 16.
  4. Traité de la Concupiscence, chap. 8.
  5. Saint Augustin.
  6. Lettre 219.