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chapitre cinquante-unième.

ils pensaient que toute opinion devait prendre un air de vérité, pourvu qu’on fît semblant de lui donner en garantie deux ou trois syllabes de ce grand homme. Pour faire leur chemin ici-bas, ils ont demandé un laisser-passer au génie et à la sainteté d’Augustin ; ils ont cherché à couvrir leurs desseins du manteau de sa gloire. La parole d’Augustin a eu, s’il est permis de comparer la terre au ciel, le sort de la parole de Dieu lui-même : les hommes l’ont mise au service de leurs fantaisies les plus diverses ; mais nos Écritures inspirées n’en gardent pas moins leur vérité qui ne change point, et les livres d’Augustin demeurent ce qu’ils sont.

Nous trouvons de vives et précieuses impressions contemporaines à la louange de l’évêque d’Hippone dans la lettre[1] que lui écrivit l’abbé du monastère d’Adrumet pour le remercier du livre de la Grâce et du Libre Arbitre. Valentin et ses frères reçurent cet ouvrage avec respect et tremblement intérieur ; ils éprouvèrent quelque chose de ce qu’éprouva le prophète Elie lorsque, voyant, de l’entrée de la caverne, passer la gloire du Seigneur, il se couvrit le visage de son manteau. La sagesse d’Augustin leur paraît celle d’un ange. En lisant ce livre, les cénobites d’Adrumet n’ont pas eu besoin de demander qui en était l’auteur : ainsi, dit Valentin, les apôtres, voyant Jésus-Christ manger avec eux après sa résurrection, comprirent que c’était le divin Maître et n’eurent garde de le lui demander. Valentin se félicite de l’ignorance et de la curiosité de ses frères qui ont valu au monde un tel ouvrage ; il rappelle l’incrédulité de saint Thomas, qui a servi à confirmer la foi de toute l’Église. Après avoir exposé ses croyances catholiques eu matière de grâce et de libre arbitre, l’abbé d’Adrumet sollicite les prières du très-saint pape et seigneur Augustin pour que la plus complète union se rétablisse dans le couvent, et que lui et ses frères de la vie monastique, délivrés des tempêtes, continuent en sûreté leur navigation dans le vaisseau qui les porte sur la mer de ce monde. Les moines adrumétins souhaitent à l’apôtre d’Hippone de longs jours pour leur bien et pour le bien de l’Église, et ensuite l’impérissable couronne dans l’assemblée des élus.

Le moine Florus, que l’évêque d’Hippone avait désiré voir, partit d’Adrumet et partit joyeux, comme l’annonçait Valentin dans sa lettre. Le bonheur d’être admis auprès d’Augustin, de le contempler et de l’entendre, paraissait une de ces faveurs de la Providence dont le souvenir seul charmait et consolait toute une vie. Possidius nous dit que les ouvrages d’Augustin sont admirables et qu’ils éclairent tous les hommes, mais qu’on gagnait bien plus à l’entendre prêcher, ou à l’entendre dans la conversation, ou même à le voir. C’était, ajoute le pieux biographe, non-seulement un écrivain savant dans le royaume des cieux, qui tirait de son trésor des choses anciennes et nouvelles et arrangeait la perle précieuse qu’il avait trouvée, mais encore il était de ceux qui accomplissent ce précepte : Agissez selon vos parole[2] : « Celui qui aura enseigné les hommes et conformé sa vie à ses discours, dit le Seigneur, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux[3]. »

Le moine Florus, chargé de la lettre de Valentin, apporta à l’évêque d’Hippone de bonnes nouvelles d’Adrumet. Mais il crut devoir lui soumettre une objection d’un de ses frères contre le livre de la Grâce et du Libre Arbitre. — S’il est vrai, disait ce cénobite, que Dieu opère en nous le vouloir et le parfaire, il faut que nos supérieurs se bornent à nous instruire de nos devoirs et à demander à Dieu de nous aider à les remplir, au lieu de nous corriger quand nous y manquons : ce n’est pas notre faute si nous sommes privés d’un secours que Dieu seul peut nous donner. — Une telle conséquence, contraire à la doctrine catholique, eût été féconde en désordres graves : la rébellion, l’inertie morale et aussi le désespoir religieux étaient au bout. Le livre de la Correction et de la Grâce[4], encore adressé à Valentin et à ses moines, fut la réponse d’Augustin. Le docteur agrandit l’objection du moine d’Adrumet, de manière à prévenir les objections nouvelles qui pourraient en naître, et rien ne resta debout ! Cet ouvrage qu’un savant historien du pélagianisme, le cardinal


    l’ouvrage intitulé : De stat. nat. lapsae. Jansénius voulait que saint Augustin, malgré la formelle expression d’une pensée contraire, eût imputé à péché l’ignorance invincible, et en même temps il appelait l’abrégé de saint Augustin (Augustinus contractus), saint Thomas, qui disait : « Aucune ignorance invincible n’est péché. »

  1. Lettre 226.
  2. Sic loquimini, sic facite. Saint Jacques, ii, 12.
  3. Saint Matthieu, v, 19.
  4. Le livre de la Correction et de la Grâce est le dernier dont saint Augustin ait fait mention dans la Revue de ses ouvrages. On place à la fin de cette même année (427) le Miroir, sorte de recueil de préceptes tirée de l’Ancien et du Nouveau Testament, particulière-