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chapitre cinquantième.

que Valentin ignora tout jusqu’au moment où Florus, revenu de Carthage, lui parla du trouble dont celui-ci s’était aperçu. L’abbé, fort occupé de rétablir la paix, fut d’avis de consulter l’évêque d’Uzale sur le vrai sens de la lettre d’Augustin ; on écrivit à Évode, mais les mécontents n’eurent pas la patience d’attendre sa réponse[1] ; ils pensèrent qu’il fallait aller trouver Augustin lui-même. L’explication de l’écrit, donnée par un saint et savant prêtre appelé Sabin, ne put arrêter leur résolution.

Les cinq ou six religieux, chefs du parti contraire, obtinrent de leur abbé la permission de prendre le chemin d’Hippone ; avant de partir, ils cherchèrent querelle à Florus, coupable d’avoir envoyé un écrit qui blessait leur ignorance ; deux seuls d’entre eux arrivèrent auprès d’Augustin[2]. Le grand docteur leur expliqua sa lettre à Sixte, de manière à ne laisser aucun nuage, dans leur esprit. Il écrivit[3] aussi au très-honoré seigneur Valentin et à tous ceux de sa communauté, pour ramener l’union dans le monastère et porter la lumière au fond de chaque conscience. La double qualité de Jésus-Christ, sauveur et juge, prouve la grâce et le libre arbitre, selon l’évêque d’Hippone ; s’il n’y avait point de grâce, comment Jésus-Christ pourrait-il sauver les hommes ? et s’il n’y avait point de libre arbitre, comment pourrait-il les juger ? Augustin n’avait pu dicter que peu de pages, parce que les deux moines d’Adrumet étaient pressés de retourner à leur monastère, afin de célébrer là fête de Pâques en famille. Il demandait qu’on lui envoyât le moine Florus, cause involontaire de l’agitation des, cénobites, et qui paraissait n’avoir pas été à même de leur faire comprendre le sens de la lettre adressée au prêtre de Rome.

Les envoyés d’Adrumet, Cresconius et les deux Félix, eurent apparemment quelque peine à s’instruire suffisamment de la question qui avait soulevé une tempête au fond d’un cloître. Malgré leurs désirs de se remettre en route et malgré la lettre à leur abbé, qui déjà leur avait été confiée, l’évêque crut devoir les retenir ; ils célébrèrent la fête de Pâques à Hippone. Durant ce temps, le docteur acheva leur éducation théologique sur le pélagianisme, et composa pour Valentin et pour la communauté d’Adrumet un livre intitulé : De la Grâce et du Libre Arbitre[4]. Les trois cénobites retournèrent à leur monastère, munis de tous les secours pour convaincre et triompher. Ils étaient porteurs d’une deuxième lettre[5] d’Augustin à leur abbé et à tous leurs frères, dans laquelle l’évêque d’Hippone énumère les pièces dont il a chargé Cresconius et les deux Félix, et traite rapidement de ce qu’il appelle la très-difficile question de la volonté et de la grâce. Lorsqu’ils rentrèrent dans leur couvent, ils trouvèrent les esprits calmés ; les dissidences qui restaient n’offraient plus ni violence ni irritation ; les moines voyageurs arrivaient les mains pleines de ressources qui devaient rectifier les erreurs et fortifier les croyances dans le monastère adrumétin.

L’ouvrage composé pour Valentin et ses frères en religion frappera tout lecteur intelligent, comme il frappa les cénobites que voulait instruire le grand docteur d’Hippone. C’est un enchaînement de citations de l’Ancien et du Nouveau Testament, qui établissent à la fois la liberté humaine et la nécessité de la grâce. Les préceptes divins, les exhortations directes adressées à l’homme, prouvent jusqu’à la dernière évidence que l’homme peut faire ou ne pas faire, et que la décision appartient toujours à sa propre volonté. Les témoignages des prophètes de l’Évangile et de saint Paul nous font toucher du doigt l’infirmité de notre volonté pour le bien, la divine assistance qui change les cœurs de pierre en cœurs de chair, inspire les salutaires pensées d’où naissent librement les bonnes œuvres, et qui prépare notre vouloir à l’accomplissement de la loi. Ce livre de l’évêque d’Hippone est une démonstration de la grâce contre les pélagiens et une démonstration du libre arbitre contre ceux qui voyaient dans la grâce une irrésistible puissance devant laquelle disparaissait la liberté humaine.

En insistant fortement sur le libre arbitre dont il marque l’accord avec la grâce d’une

  1. La réponse d’Évode à l’abbé, Valentin, découverte, par le P. Sirmond, dans un manuscrit de saint Maximin de Trèves, est parfaitement conforme aux doctrines de saint Augustin. Le P. Sirmond en a publié un fragment dans le premier chapitre de son Histoire des prédestinations.
  2. Saint Augustin, dans sa deuxième lettre à Valentin, parle d’un troisième moine d’Adrumet arrivé à Hippone. Les détails sur les trouble du monastère d’Adrumet sont tirés du récit qu’en fit Valentin lui-même dans sa lettre à saint Augustin. Lettre 216.
  3. Lettre 214.
  4. Belzunce, évêque de Marseille, de pieuse et illustre mémoire, adressa à son clergé et aux fidèles de son diocèse, en 1740, une traduction du livre de la Grâce et du Libre Arbitre, accompagnée d’excellentes notes. Marseille, 1740 ; 1 vol. in-4o.
  5. Lettre 215.