Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
histoire de saint augustin.

même n’a pas l’ambition d’y atteindre ; il a déclaré plus d’une fois qu’il restera toujours beaucoup à apprendre dans ce champ infini. De même que cinq pains suffirent aux apôtres pour rassasier des milliers d’hommes affamés, ainsi Augustin espère que les dons de Dieu croîtront en lui à mesure qu’il traitera ces difficiles matières : il espère qu’une merveilleuse abondance viendra au secours de son zèle.

La distinction que fait le grand docteur entre les choses dont il faut jouir et celles dont il faut user donne lieu au développement d’idées morales plus d’une fois reproduites dans ses ouvrages. Il s’agit d’aspirer au bien impérissable dans cette vie mortelle où nous voyageons éloignés de Dieu, et d’user de ce monde comme un moyen de nous élever aux grandeurs invisibles du Créateur. Avec ces dispositions, on ouvre utilement les livres divins. Après avoir traité des choses dans son premier livre, l’évêque traite des signes dans le second. La parole est le premier des signes ; l’invention des lettres lui a donné de la fixité et de la durée. Les livres saints, écrits d’abord dans une seule langue, l’hébreu, ont fait le tour de l’univers à l’aide des versions en langues différentes. L’obscurité des divines Écritures dompte l’orgueil par le travail, écarte de l’intelligence le dégoût ; l’intelligence s’attache peu à ce qu’elle découvre sans peine. Sept degrés, selon notre docteur, mènent à la sagesse renfermée dans les livres saints : la crainte de Dieu, la piété, la science, la force, le conseil et la pureté du cœur. La liste qu’Augustin nous donne des livres canoniques est tout à fait conforme à ce que l’Église nous présente aujourd’hui. Le docteur recommande fortement l’étude de l’hébreu et du grec, pour être à même de remonter aux sources et de comparer les diverses interprétations. Il veut qu’on préfère l’Italique ou l’ancienne Vulgate aux autres versions latines ; parmi les versions grecques, celle des Septante lui paraît mériter une supérieure et incontestable autorité. Il regarde comme d’une haute utilité l’étude des cieux[1], des plantes, des pierres précieuses, des animaux, parce que les comparaisons sont une des formes les plus fréquentes du style des écrivains sacrés. Augustin n’oublie pas l’étude de la géographie biblique, de la musique et des anciens instruments de l’Orient, des différents arts, et surtout les connaissances historiques[2]. Si les livres des philosophes et principalement des platoniciens nous présentent des vérités conformes à nos vérités religieuses, nous ne devons pas les rejeter, mais les leur ravir comme à des usurpateurs et les faire passer à notre usage. C’est ainsi que les Hébreux, en quittant l’Égypte, enlevèrent aux Égyptiens des vases d’or et d’argent, des vêtements de prix, pour les employer à des usages saints. Ces vérités, ces trésors de la divine Providence, sont répandus partout comme les métaux au sein de la terre : nous pouvons nous en saisir partout où nous les rencontrons. Moïse ne s’était-il pas instruit de la sagesse des Égyptiens avant d’être illuminé des splendeurs du Sinaï ? Cyprien, Lactance, Victorin, Optat, Hilaire, ne se chargèrent-ils pas de riches vêtements et de vases d’or en sortant de l’Egypte ? Mais quoiqu’on sorte de l’Egypte avec des trésors, il faut célébrer la pâque pour être sauvé : or, Jésus-Christ est l’Agneau pascal immolé pour tous. Dans l’étude des livres saints, songeons bien que la lettre tue et que l’esprit vivifie ; les signes ne sont pas les choses ; le christianisme a substitué les vérités aux figures ; il y aurait une sorte de servitude à rester sous le joug de la lettre ou des signes. L’Évangile nous a fait passer de l’esclavage de la chair à la liberté de l’esprit.

Le troisième livre de la Doctrine chrétienne renferme d’utiles règles pour bien apprécier la morale des livres saints.

Dans le quatrième livre, qui marque comment on doit enseigner les vérités divines, l’auteur nous avertit d’abord qu’il ne donnera point des préceptes d’éloquence ainsi qu’il en avait donné autrefois à Carthage ou à Milan ; c’est ailleurs qu’il faudra les chercher : il ne pense pas que les docteurs de la vérité doivent négliger la rhétorique. Augustin observe du reste que les enseignements dans l’art de la parole mènent à peu de chose : ceux qui s’expriment avec le plus d’aisance et d’éclat ne

  1. Saint Augustin parle contre les astrologues, qu’il suppose secrètement liés avec les démons. Il condamne aussi la divination à l’aide de l’invocation, de l’image des morts et de la ventriloquie, quoique l’image de Samuel ait prophétisé la vérité au roi David, et qu’une femme ventriloque, dans les Actes des Apôtres, ait rendu un témoignage véritable aux apôtres du Seigneur.
  2. C’est ici (liv. ii, chap. 28, de la Doctrine chrétienne) que saint Augustin avance inexactement, en citant saint Ambroise, que Platon avait pu rencontrer Jérémie en Égypte. L’évêque d’Hippone a rectifié lui-même cette erreur dans le chap. ii du viii- siècle livre de la Cité de Dieu.