Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome I.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
chapitre troisième.

CHAPITRE TROISIÈME.



Retraite d’Augustin à Cassiacum, aux environs de Milan ; peinture de sa vie avec sa famille et ses amis ; les trois livres contre les académiciens.

(Du mois d’août 386 à la fin de décembre de la même année.)

La conversion d’Augustin[1] avait eu lieu au commencement du mois d’août ; il était alors âgé de trente-deux ans moins deux mois. Le temps des vacances approchait. Augustin ne voulant plus se mettre en vente, après avoir été racheté par Jésus-Christ[2], résolut de renoncer à sa profession de rhéteur ; il décida qu’il se séparerait de ses élèves à la prochaine clôture des écoles. D’ailleurs, le travail excessif de ses leçons publiques durant l’été avait beaucoup affaibli sa poitrine ; il ne respirait qu’avec une grande difficulté ; il éprouvait des douleurs qui lui faisaient craindre une atteinte aux poumons. L’état de sa santé devenait une excuse légitime pour abandonner le professorat à Milan. Verecondus, ami d’Augustin, s’était affligé d’une détermination qui lui offrait en perspective une séparation cruelle ; sa femme était chrétienne, mais lui-même ne l’était point encore, et, dans la situation nouvelle d’Augustin, il ne voyait que la douleur de perdre un tel ami. Cependant Verecondus désira mêler quelque douceur au dernier séjour d’Augustin en Lombardie ; il avait une maison de campagne à Cassiacum, aux environs de Milan ; il la mit à la disposition d’Augustin et de ses amis, pour tout le temps que le fils de Monique passerait encore dans le pays de Milan. Verecondus mourut chrétien quelque temps après ; saint Augustin, dans ses Confessions, espère que Dieu, pour payer Verecondus du paisible asile offert avec une amitié si généreuse, l’aura fait jouir des joies et du printemps éternel de son paradis[3].

Lorsque les vacances, qui arrivaient au temps des vendanges, furent passées, Augustin fit savoir à la jeunesse de Milan qu’il ne lui était plus possible de continuer l’enseignement de la rhétorique, et commença dans la solitude de Cassiacum une vie de paix et de contemplation. Il réalisait pour quelques mois le rêve d’une vie commune avec des amis de son choix, rêve philosophique et tendre qu’il avait fallu abandonner. Augustin avait pour compagnons de solitude sa mère, son fils Adéodat, son frère Navigius, ses parents Lastidien et Rustique, ses amis Alype, Licentius et Trigetius. Il ne se levait qu’au jour, selon la coutume d’Italie, faisait sa prière, et ensuite se promenait avec ses amis. La petite troupe, qui formait comme une jeune académie, allait fréquemment s’asseoir au pied d’un arbre, dans un pré voisin. Quand le temps ne permettait point la promenade ni la station accoutumée dans la prairie, Augustin et ses amis se réunissaient aux bains ; ils y trouvaient une salle, et s’y livraient librement aux entretiens philosophiques. Ces entretiens, dont Augustin était l’âme et l’inspiration, se prolongeaient jusqu’à la nuit. La jeune académie quittait les bains pour aller souper. Midi était l’heure du dîner. La sobriété régnait dans les repas ; on apaisait la faim sans diminuer la liberté de l’esprit. Augustin ne se couchait qu’après avoir prié Dieu ; des réflexions, des méditations longues et profondes précédaient presque toujours son sommeil. Ses disciples, Licentius et Trigetius, avaient leur lit dans sa chambre ; il veillait sur eux avec une vive affection ; leur gaieté de vingt ans lui plaisait ; elle était pour lui une distraction et une

  1. La conversion de saint Augustin et celle de saint Paul sont les deux seules conversions dont l’Église célèbre la mémoire.
  2. Confess., livre IX, ch. 2.
  3. Fidelis promissor, reddes Verecundo, pro cure illo ejus Cassinco, ubi ab æstu seculi requievimus in te, ammnitatem sempiterne virentis paradisi tai, etc. Confess., liv. ix, ch. 3. Nous rectifions ici le nom de la maison de campagne où s’était retiré saint Augustin avec ses jeunes amis. Ce n’est pas Cassiciacum, comme l’ont écrit les Bénédictins d’après les manuscrits qu’ils ont suivis, mais c’est Cassiacum, comme on le voit dans les manuscrits de la bibliothèque ambroisienne et dans les écrivains milanais. Lorsqu’il s’agit d’un nom de lieu aux environs de Milan, les témoignages du pays même méritent une préférence absolue. Ce point est parfaitement éclairci dans un opuscule du savant abbé Bivaghi, docteur de la bibliothèque ambroisienne.