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chapitre quarante-septième.

cause au pape Boniface. Le primat, induit en erreur, attestait l’innocence d’Antoine ; Boniface, ainsi trompé, donna ordre qu’on le rétablît dans ses fonctions. Les habitants de Fussale, courroucés contre leur évêque, résistèrent à la décision de Rome ; on les menaça de leur imposer la sentence du Siège apostolique par la force des armes. Ce fut alors que les catholiques de Fussale songèrent à s’adresser au pape Célestin, qui venait de succéder à Boniface. Augustin appuya d’une lettre au souverain pontife leurs respectueuses doléances.

La décision de Boniface était conditionnelle ; il l’avait soumise à la parfaite exactitude des faits portés à son tribunal. L’évêque d’Hippone, en rétablissant toute la vérité dans sa lettre[1] à Célestin, donnait à l’affaire d’Antoine une face nouvelle. Il peignit la situation des habitants de Fussale, livrés aux violentes rancunes de l’évêque interdit, menacés des plus terribles vengeances, et les recommanda au souverain pontife, au nom du sang de Jésus-Christ, au nom de la mémoire de saint Pierre, qui avertit les pasteurs de ne pas exercer sur leurs frères une tyrannique domination. Le bon Augustin recommandait, non-seulement les catholiques de Fussale, ses enfants en Jésus-Christ, mais encore Antoine leur évêque, qui était aussi son fils en Jésus-Christ. Il trouve tout simple que les fidèles de Fussale se soient plaints à Rome du mauvais choix qu’il avait fait, et ne leur en veut aucun mal. Ce qu’Augustin demande de toute sen âme, avec une grande inquiétude et un profond sentiment de tristesse, c’est que la justice et la charité de Célestin viennent au secours des chrétiens de Fussale, ramenés depuis peu à la foi catholique. La fin de cette lettre nous fait comprendre tout ce qui se passait alors dans le cœur du grand évêque d’Hippone.

« Pour moi, dit-il au Pape Célestin, je le déclare à Votre Sainteté, au milieu des angoisses de l’affliction, si je voyais cette Église de Jésus-Christ (l’Église de Fussale), ravagée par un homme que mon imprudence a fait évêque, si je la voyais périr avec celui qui serait la cause de ce malheur, je renoncerais, je le crois, à l’épiscopat pour ne plus songer qu’à pleurer ma faute. Je me souviens de cette parole de l’Apôtre : Si nous « nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés de Dieu. Je me jugerai donc moi-même, afin que celui qui viendra juger les vivants et les morts me pardonne. Si au contraire votre charité délivre de leurs terreurs les membres de Jésus-Christ qui sont dans cette contrée et que vous consoliez ma vieillesse par un acte aussi juste que miséricordieux, Celui qui nous aura tiré par vous de ces angoisses, et qui nous a placé sur le siège apostolique, vous en récompensera et vous rendra le bien pour le bien dans ce monde et dans l’autre. »

Avec quelle rigueur ce grand homme se jugeait ! comme il est admirable dans son projet de quitter l’épiscopat pour aller pleurer sa faute ! Cette faute, la seule qu’Augustin ait pu se reprocher durant trente-cinq ans d’épiscopat, est tournée à sa gloire.

Le pape Célestin rendit un arrêt conforme aux désirs de l’évêque d’Hippone. Antoine cessa de remplir à Fussale toute fonction épiscopale ; l’église de ce bourg rentra sous le gouvernement d’Augustin. Les bénédictins ont remarqué sur la liste des évêques de Numidie un évêque de Fussale appelé Melior ; ce qui prouverait qu’Antoine eut un successeur à un intervalle plus ou moins éloigné de l’événement dont l’Afrique et Roule s’étaient occupées. La question des appels à Rome s’offrait de nouveau dans l’affaire d’Antoine de Fussale : mais l’Afrique chrétienne demeurait sur ce point dans un provisoire qui datait de l’affaire d’Apiarius et ne cessa qu’en 426.

Augustin, qui avait vu des maisons religieuses à Rome et à Milan, fut le père de la vie monastique en Afrique ; il vécut lui-même comme un cénobite, depuis sa conversion jusqu’à sa mort, ainsi que nous l’avons déjà remarqué. Les premières communautés d’Hippone naquirent du zèle d’Augustin : beaucoup d’autres communautés, faites à leur image, s’étendirent rapidement sur le sol africain. Il semble que les ardentes natures de ces contrées étaient peu propres à fléchir sous le régime du cloître ; mais la merveille du génie évangélique, c’est de triompher si complètement des plus âpres et des plus indomptables caractères. Les riches, inspirés par la foi, s’empressaient de donner des terres et des jardins, d’élever des abris et des sanctuaires pour les vocations pieuses, ce qui faisait dire à Augustin que les cèdres mêmes du Liban s’estimaient heureux de recueillir sofas leur ombrage ces petits oiseaux, ces pauvres qui avaient tout

  1. Lettre 219.