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histoire de saint augustin.

tiens ; les tristesses et les embarras du fardeau épiscopal importuneront en vain l’illustre pasteur d’Hippone.

Nous n’avons rien de nouveau à tirer de la réponse d’Augustin aux Huit Questions religieuses du tribun Dulcitius, frère de Laurentius, dont il a été parlé au chapitre précédent. Il nous faut raconter une affaire qui causa un grand ennui à l’évêque d’Hippone. L’année 423 le vit malheureux.

Il y avait à quarante milles d’Hippone un bourg appelé Fussale : quelques faits merveilleux s’étaient passés de ce côté-là. Un ancien tribun, nommé Hesperus. possesseur d’une métairie appelée Zubedi, auprès de Fussale, se plaignait que les esprits malins tourmentassent ses esclaves et son bétail[1] ; Augustin était absent d’Hippone ; Hesperus demanda un de ses prêtres pour mettre en fuite les démons avec des prières ; un prêtre se rendit sur les lieux, offrit le saint sacrifice de la Messe, et la métairie fut délivrée. Hesperus avait reçu d’un de ses amis un peu de terre de Jérusalem, de cette terre consacrée par les pas et la sépulture de Jésus-Christ ; il s’en était muni comme d’un préservatif contre les démons, car il craignait fort d’être livré lui-même à leurs atteintes. Il tenait dans sa chambre cette terre révérée ; mais après l’expulsion des malins esprits, Hesperus crut qu’il fallait trouver pour la relique une destination digne de son grand prix. Dès qu’Augustin fut de retour à Hippone, l’ancien tribun le pria de vouloir bien venir le voir ; le saint docteur se trouvait dans le voisinage de Fussale avec Maximin, évêque de Sinit ; les deux pontifes arrivèrent chez Hesperus. Après que celui-ci leur eut tout raconté, il leur proposa de déposer la sainte terre de Jérusalem dans quelque endroit où pût s’élever une chapelle catholique. Les intentions d’Hesperus furent remplies. Un jeune paysan paralytique recouvra l’usage de ses jambes par la vertu de la terre apportée du Calvaire.

Malgré ces prodiges dont il serait difficile d’apprécier l’authenticité, le territoire de Fussale renfermait à peine quelques catholiques ; presque tous les habitants du bourg et des environs appartenaient au schisme des donatistes. La piété d’Augustin en était vivement affligée. Les premiers prêtres catholiques envoyés à Fussale avaient reçu d’horribles traitements ; on les avait dépouillés, battus, estropiés ; quelques-uns avaient eu les yeux crevés, d’autres avaient perdu la vie. Après des miracles de zèle et de courage de la part d’Augustin et de ses coopérateurs, presque tout les pays de Fussale était rentré dans le bercail catholique. Pour que les intérêts religieux de Fussale fussent mieux gouvernés, Augustin jugea nécessaire d’y établir un évêque ; il jeta les yeux sur un prêtre de son clergé qui savait : la langue punique, avantage important pour des populations dont une portion ignorait nous entendait mal le latin ; ce prêtre accepta le, nouveau siège. Augustin écrivit au primat de la province pour le prier de venir faire l’ordination épiscopale ; le primat arriva ; et quand : tout fut prêt, le prêtre désigné changea d’avis et avertit qu’on choisît un autre sujet pour le siège de Fussale. Le primat était accouru de fort loin ; Augustin, ne voulant pas que ce voyage fût inutile et que les catholiques de Fussale restassent plus longtemps sans pasteur, proposa pour la dignité épiscopale un jeune homme élevé dès son enfance sous ses yeux mais non encore éprouvé dans la cléricature ; ce jeune homme s’appelait Antoine et n’était encore que lecteur. On n’avait pu connaître jusque-là que les apparences plutôt que le fond de sa vie. Augustin, comme c’était alors l’usage catholique, présenta l’homme de son choix à l’approbation des fidèles de Fussale ; le choix fut accepté sur la parole d’Augustin, et le primate de Numidie ordonna prêtre et évêque le lecteur Antoine.

Augustin n’avait pas apporté dans son choix, assez de prudence, et ne tarda pas à s’en repentir. Des mœurs qui semblaient déréglées, la violation des lois de l’équité, excitèrent contre Antoine les plaintes de son troupeau. Traduit devant un tribunal d’évêques, Antoine ne fut pas suffisamment convaincu du crime d’immoralité, mais quelques-uns des faits contraires à la justice se trouvèrent prouvés. Augustin le força de restituer ce qu’il avait pris ; toutefois on ne déposa point l’évêque de Fussale ; on se borna à une interdiction : la jeunesse d’Antoine faisait espérer un retour vers l’esprit du sacerdoce. La sentence d’Augustin et de ses collègues, quoique pleine de douceur, avait déplu à Antoine ; il voulait ou qu’on lui enlevât la dignité d’évêque, ou qu’on le laissât dans son siège de Fussale. Ses artifices avaient gagné le vieux primat de Numidie, qui s’était laissé aller jusqu’à recommander sa

  1. Cité de Dieu livre xxii, chap. 8.