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histoire de saint augustin.

singulier ! en quelque lieu que vous paraissiez, vous trouverez l’armée du Christ pour vous combattre ; elle a vaincu Célestius à Carthage, lorsque je n’y étais pas ; elle a vaincu de nouveau à Constantinople, bien loin des contrées africaines ; elle a triomphé, en Palestine, de Pélage, qui, craignant sa condamnation, a condamné votre cause : là votre hérésie a tout à fait succombé. »

Augustin, que Julien ne craignait pas d’appeler Épicurien, adorateur du démon, rétablit sa doctrine sur le mariage, la concupiscence, le péché originel, le libre arbitre et la grâce, doctrine que l’ancien évêque d’Éclame avait pris plaisir à dénaturer. Il renverse, chemin faisant, les nouvelles objections de Julien.

L’évêque d’Hippone, parlant de la destinée des enfants morts sans baptême, exprime une opinion qu’il importe d’établir formellement ici pour répondre aux jansénistes et à leurs exagérations sur ce point. Il avait déjà dit ailleurs[1] que la peine de ces enfants serait la plus douce de toutes les peines ; il emploie dans le cinquième livre contre Julien, chapitre onze, des termes plus miséricordieux encore : Je ne dis pas que les enfants morts sans le baptême du Christ seront punis, de manière qu’il eût mieux valu pour eux de n’être pas nés… Quoique je ne puisse pas définir le caractère, la nature, la grandeur de cette peine, je n’ose pas dire cependant que le néant eût mieux valu pour eux que l’existence[2]. Saint Thomas, interprète immortel de la théologie du grand évêque d’Hippone, n’a pas cru sortir de la ligne de la doctrine du maître en enseignant que le péché originel tout seul ne sera point puni par la peine des sens[3]. La privation du royaume du ciel et des dons surnaturels laisse place à une destinée dont Dieu seul a le secret, mais qui ne sera pas le malheur[4].

L’évêque pélagien, pour autoriser ses opinions sur la concupiscence, cherchait des appuis dans les philosophes de l’antiquité, mais ne pouvait citer que ceux qui ont traité des choses naturelles. Augustin lui rappelle que tous les penseurs éminents qui, dans I’antiquité, se sont occupés de philosophie morale ont réprouvé l’asservissement aux voluptés charnelles. En parlant de la curiosité humaine qui cherche à tout comprendre, l’évêque d’Hippone fait cette belle remarque que les mystères sont utiles dans les œuvres de Dieu ; expliquées, les œuvres divines perdraient de leur grandeur, et l’homme cesserait de les admirer[5].

Nous avons vu tout à l’heure avec quelle énergie vraiment catholique Augustin repoussait l’idée de se mettre à la place de l’Église tout entière dans les combats pour la foi. Cette énergie se retrouve dans sa réponse à Julien, qui lui reprochait de soulever contre le pélagianisme l’opinion populaire, et d’avoir pour auxiliaire là multitude. Augustin fait observer que cela même condamné les pélagiens : la doctrine du péché originel est si universellement établie, que le peuple lui-même la connaît. Il était nécessaire que nul chrétien n’ignorât les mystères chrétiens, dans l’intérêt du salut des petits enfants. Augustin, se prononçant encore une fois contre la pensée d’un combat singulier, dit qu’il est simplement un de ceux qui travaillent à réfuter des nouveautés profanes. « Avant que je fusse né, ajoute-t-il, et avant que la foi m’eût fait renaître à Dieu, beaucoup de grandes lumières catholiques avaient prévenu et rejeté vos futures ténèbres… Cessez de vous moquer des membres du Christ, en les appelant des travailleurs de boutique[6] ; souvenez-vous que Dieu a choisi les faibles selon le monde, pour confondre les forts… Ceux qui nous connaissent vous et moi, et qui connaissent la foi catholique, ne veulent rien apprendre de vous ; mais plutôt ils prennent garde que vous ne leur enleviez ce qu’ils savent. Beaucoup d’entre eux non-seulement n’ont pas appris de moi, mais même ont appris avant moi ce que votre nouvelle erreur combat. Puisque donc je ne les ai pas faits ce qu’ils sont, et que je les ai trouvés associés à cette vérité que vous niez, comment puis-je être moi-même l’auteur de ce que vous croyez une erreur[7] ? »

Julien prétendait qu’Augustin avait changé d’avis sur la doctrine du péché originel, et

  1. Livre I, chap. 16, De peccat. merit. et remisa.
  2. Ego autem non dito parvulos sine Christi baptismate morientes tanta poena esse plectendos, ut eis non nasci potius expediret… quae, qualis et quanta erit, quamvis definire non possim, non tamen audeo dicere quod eis ut nulli essent quam ut ubi essent potiùs expediret.
  3. Ad secundum dicendum quùd peccato originali in futurs retributione non debetur poana sensus. Somme, IIIe part., question Ire, Art. 4.
  4. Pélage, interrogé sur le sort des enfants morts sans baptême, répondait : « Je sais bien où ils ne vont pas, mais je ne sais pas où ils vont. » Aug. de peccat. orig. contre Pélag., Cap. 21.
  5. Et re vera haec est utilitas occultorum operum Dei, ne prompta, vilescant, ne comprehensa mira esse desistant. Livre VI, chap. 6.
  6. Sellulariorum opificum.
  7. Livre VI, ch. 8.