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chapitre quarante-cinquième.

de Nazianze dont la parole a tant de grâce ; saint Basile, que Julien a cru pouvoir appeler à son secours, et les quatorze évêques du concile de Diospolis. Julien triomphait d’un passage de saint Jean Chrysostome. Dans une de ses homélies, ce grand évêque a dit : Nous baptisons les enfants quoiqu’ils n’aient pas de péché ; ce qui signifie : Quoiqu’ils n’aient pas de péché qui leur soit propre. Julien avait traduit : « Nous baptisons les enfants qui ne sont pas souillés par le péché, » et avait conclu que saint Jean Chrysostome ne professait pas la croyance au péché originel. Pourquoi, dira Julien, pourquoi l’évêque Jean ne s’est-il pas expliqué plus clairement et n’a-t-il pas déclaré qu’il était question d’un péché qui fût propre aux enfants ? — La réponse est bien simple : c’est que, parlant dans l’Église catholique, l’évêque Jean ne pensait pas qu’on pût le comprendre autrement. Et, pour mieux connaître la pensée du grand évêque sur ce point, Julien n’a qu’à lire ce fragment d’une lettre de Jean à Olympia : « Après qu’Adam eut commis ce grand péché et qu’il eut entraîné le genre humain dans sa perte, il eut pour peine les longues afflictions. » Jean Chrysostome disait aussi dans une homélie sur la résurrection de Lazare : « Le Christ pleurait, parce que l’homme déchu de ses droits à l’immortalité en était venu au point d’aimer son tombeau. Le Christ pleurait, « parce que le démon a fait mortels ceux qui pouvaient conquérir l’immortalité. » Dans la même homélie d’où Julien avait tiré son objection, l’évêque Jean disait : « Le Christ est venu une fois, et nous a trouvés liés par les engagements paternels que souscrivit Adam. Celui-ci a commencé à nous engager ; la dette s’est accrue par nos péchés. » De tels passages et d’autres encore que cite Augustin témoignent de la croyance de Jean Chrysostome au péché originel.

Ainsi donc, au lieu d’être une conspiration de gens perdus[1], selon l’étrange expression de Julien, au lieu d’être un simple bruit du peuple[2], la doctrine du péché originel était la croyance des plus grands hommes de l’Église catholique avant Augustin. À entendre Julien, il n’y avait personne pour défendre cette doctrine[3], et voilà que toutes les gloires catholiques se levaient pour donner raison à Augustin !

La liste de ces illustres autorités eût été incomplète si le nom de Jérôme n’y avait figuré. Ce grand homme était mort l’année précédente[4] : « Ne croyez pas, dit Augustin à Julien, ne croyez pas qu’il faille dédaigner saint Jérôme parce qu’il n’a été que prêtre ; il fut versé dans le grec, le latin et l’hébreu, passa de l’Église d’Occident à l’Église d’Orient, et vécut dans les lieux saints et les saintes lettres jusqu’à un âge bien avancé ; il lut tous ou presque tous les auteurs qui, dans les diverses parties du monde, avaient écrit avant lui sur la doctrine de l’Église ; or, Jérôme n’a pas eu sur ce point (le péché originel), un avis différent du nôtre. Dans son commentaire du prophète Jonas, il dit que les petits enfants eux-mêmes sont coupables du péché d’Adam. »

Julien favorisait le manichéisme en cherchant à établir que le mal ne pouvait naître du bien, et que le mariage, s’il est bon, ne pouvait pas produire un mauvais fruit : le péché originel. Augustin redit ici quelques-unes de ses belles idées sur l’origine du mal qui n’est que la défaillance du bien, le défaut d’une bonne nature inférieure et non pas d’une nature souveraine et immuable. Le mal n’est pas une substance, mais une volonté qui s’éloigne de ce qui est bien. La parabole évangélique du bon et du mauvais arbre est une image de la bonne et de la mauvaise volonté, et les fruits sont les œuvres.

Augustin, à l’aide des dix grands docteurs et du prêtre Jérôme, qu’il a déjà cités, démolit pièce à pièce tout l’édifice élevé par l’habileté de Julien. Quand celui-ci se plaint que la doctrine pélagienne ait été condamnée par des juges prévenus de haine, l’évêque d’Hippone lui fait observer que les grands docteurs sur lesquels il s’appuie ne pouvaient nourrir aucune prévention contre les pélagiens, qui n’existaient pas encore. Julien se félicitait d’avoir été le seul à souhaiter le combat, se donnant comme le David des pélagiens, et voyant dans Augustin un Goliath. Notre saint docteur ignore si le jeune hérétique est convenu avec les pélagiens qu’ils se tiendraient tous pour vaincus, dans le cas où il serait vaincu lui-même. « Quant à moi, lui dit Augustin avec un admirable sentiment catholique[5], à Dieu ne plaise que je vous provoque à un combat

  1. Conspiratio perditorum.
  2. Solum populi murmur.
  3. De tanto multitudine assertorem non potest invenire.
  4. 30 septembre 420.
  5. Livre III, chap. 4.