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chapitre quarante-cinquième.

saint Jérôme. « Il n’y a personne, en vérité, dit Bossuet à ce sujet[1], à qui l’envie de rire ne prenne d’abord lorsqu’on voit un Érasme et un Simon qui, sous prétexte de quelque avantage qu’ils auront dans les belles-lettres, se mêlent de prononcer entre saint Jérôme et saint Augustin, et d’adjuger à qui il leur plaît le prix de la connaissance des choses sacrées. Vous diriez que tout consiste à savoir, du grec, et que, pour se désabuser de saint Thomas, ce soit assez d’observer qu’il a vécu dans un siècle barbare ; comme si le style des apôtres avait été fort poli, ou que, pour parler un beau latin, on avançât davantage dans la connaissance des choses sacrées. »

Nos lecteurs n’ont pas oublié que si l’évêque d’Hippone ignorait l’hébreu, il possédait à fond la langue grecque, dont il avait fait une très-sérieuse étude depuis son élévation au sacerdoce. Ainsi Augustin put s’emparer pleinement de la version des Septante, qui avait suffi aux apôtres.

Erasme, à qui l’évêque de Meaux ne pardonnait pas d’avoir classé Augustin au-dessous de Jérôme pour l’interprétation des Écritures, rangeait néanmoins le pontife d’Hippone parmi les plus grands ornements et les plus éclatantes lumières de l’Église.

Ce magnifique cortège de grands hommes de tous les siècles inclinant la tête devant Augustin, ne le venge-t-il pas suffisamment des injures de Bayle et de ce prêtre Simon[2], contre lequel Bossuet a fait un des plus beaux ouvrages de critique qui existent dans aucune langue ?

Appuyé sur l’admiration des âges pour l’homme dont l’histoire nous occupe, nous continuerons plus hardiment notre œuvre.

Les sept livres des Locutions sont une sorte d’étude littéraire du Pentateuque, de Josué et des Juges ; Augustin fait voir ce qui caractérise le style des écrivains sacrés, ce qui appartient au génie de la langue hébraïque et de la langue grecque ; il avertit de ne pas chercher un sens mystérieux dans ce qui est un simple four original. Notre docteur peut ainsi être considéré comme un des premiers qui aient signalé les frappantes beautés du style biblique. Les sept livres des Questions sont une comparaison raison des différentes versions des Septante, des versions d’Aquila et de Théodotien, et de la traduction latine de saint Jérôme, faite sur l’hébreu ; ils présentent comme des notes rapides, mais substantielles et lumineuses, sur des difficultés que le docteur résout à mesure qu’il les pose. Cet examen de l’Heptateuque, qui commence où finissent les douze livres sur la Genèse, est fait sans aucune préoccupation de la forme, mais dans la seule vue de rencontrer la vérité.

À la fin de l’année 419, les décrets impériaux contre les pélagiens furent renouvelés ; une lettre d’Honorius et de Théodose parvint à l’évêque de Carthage, et quoique l’Église d’Hippone fût inférieure à l’Église de la métropole africaine, Augustin, par une exception qu’il devait à son génie et à son immense renommée, reçut la même lettre qu’Aurèle. Honorius et Théodose voulaient que les deux pontifes de Carthage et d’Hippone fissent souscrire à tous les évêques africains la condamnation de Pélage et de Célestius ; la défense de la doctrine pélagienne leur paraissait une intolérable énormité.

Et cependant les évêques pélagiens, du fond de leur exil ignoré, ne cessaient d’élever la voix en faveur de leur cause ; il se répandit en Italie deux lettres qui calomniaient les doctrines catholiques au profit de l’erreur condamnée. L’une avait pour auteur Julien, qui cherchait à mimer dans Rome quelques restes de l’ancienne flamme pélagienne ; l’autre, adressée à Rufus, évêque de Thessalonique, portait la signature de dix-huit évêques qui avaient refusé de souscrire à la condamnation de Pélage et de Célestius : c’était comme une levée de boucliers des pontifes anathématisés. Alype, l’illustre et infatigable ambassadeur de l’Afrique chrétienne auprès du siège de Rome, reçut des mains du pape Boniface ces deux lettres avec mission de les remettre à Augustin, car c’était toujours à Augustin qu’on songeait à chaque apparition de l’ennemi. Ainsi, dans les grandes guerres contre les ennemis de la foi religieuse, Judas Machabée, Godefroy ou Richard Cœur-de-Lion étaient appelés aux heures du péril ; leur nom volait de bouche en bouche chaque fois qu’il fallait repousser une attaque, et toute bataille se changeait pour eux en victoire.

C’est en 420 que les deux lettres avaient été écrites ; la même année vit naître la réponse

  1. Défense de la trad.
  2. Simon, dans son ouvrage intitulé Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament, s’était donné comme le vengeur des Pères grecs et de l’antiquité. Son ouvrage était particulièrement dirigé contre saint Augustin.