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chapitre quarante-quatrième.

qui excuse tous les procédés de Victor, ses injures, son outrecuidance ; elle excuse aussi la redondance de son style et la crudité des expressions ; l’évêque pense que ces défauts de forme disparaîtront à la maturité de l’âge. Le débordement des mots qui plaît aux esprits légers et que les esprits graves tolèrent, ne saurait causer aucun dommage à la foi. « Nous avons, dit Augustin, des hommes écumeux (spumeos) dans leurs discours, mais qui ne a laissent pas d’être purs dans leur foi. » Il trouverait triste et dangereux que l’éloquence fût mise au service de l’erreur ; ce serait boire le poison dans une coupe d’un grand prix. Il paraît que le jeune Africain n’était pas sans talent. Dieu lui avait donné, dit Augustin, assez de génie pour être sage, pourvu qu’il ne crût pas l’être.

L’écrit dans lequel Vincent Victor avait tranché la question qui tenait en suspens un grand génie, renfermait une foule d’erreurs. Victor soutenait que l’âme, est quelque chose de corporel ; qu’elle n’a pas été tirée du néant ni formée d’aucune autre chose créée ; d’où l’on devait conclure nécessairement, malgré les dénégations du jeune philosophe, que l’âme était formée de la substance même de Dieu. Ceci tombe devant un simple raisonnement : ce qui est tiré de Dieu est de même nature que lui, et participe à l’immutabilité ; or, l’âme est sujette au changement ; donc elle n’a pas été tirée de la substance divine. Pour échapper à la conclusion dont ce raisonnement renversait la pensée, Victor disait que le souffle de Dieu pouvait produire les âmes, sans leur communiquer sa nature, de même qu’en soufflant dans une outre nous y faisons entrer un vent qui n’a rien de commun avec notre propre nature. Augustin, observait que cette comparaison n’avait pas de justesse, puisque Victor admettait un Dieu-Esprit, ; quelque subtil que nous imaginions notre souffle, il est toujours corporel ; au lieu que dans l’hypothèse de Victor, un Dieu-Esprit produirait de lui-même par son souffle une âme corporelle, ce qui est inadmissible. Victor citait l’exemple d’Élisée qui, en soufflant sur le fils de la Sunamite, lui rendit la vie ; mais le souffle du prophète ne fut qu’une cause occasionnelle ; à la prière d’Élisée, Dieu ; rappela l’âme de l’enfant.

Victor, admettant la préexistence des âmes et voulant expliquer la propagation du péché originel, disait que l’âme avait mérité d’être souillée par son union avec la chair, et que le baptême lui rendait sa pureté première. Augustin lui demanda comment cette âme, avant le péché, avait mérité d’être souillée par la chair ; le jeune homme parlait de la prescience de Dieu, mais la prescience de Dieu, c’est la prévision et non pas la cause du mal. Victor, par un oubli des textes formels de l’Évangile, et plus hardi que les pélagiens eux-mêmes, ouvrait le royaume des cieux aux enfants morts sans baptême ; il prétendait qu’on devait offrir pour eux le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ. Selon le jeune Africain, Dieu créerait des âmes pendant toute l’éternité ; à quoi on répondait qu’après la fin du monde, il n’y aurait plus de génération, et par conséquent plus de corps qui eussent besoin d’âmes. Victor avançait qu’un enfant prédestiné de Dieu au baptême pouvait en être privé. Mais quelle serait donc la puissance qui empêcherait l’accomplissement des décrets divins ?

« Le Seigneur, dit Isaïe[1], donne le souffle à son peuple, et l’esprit à ceux qui marchent sur la terre. » « C’est le Seigneur, est-il écrit ailleurs[2], qui forme l’esprit de l’homme dans l’homme. » La mère des Macchabées disait à ses enfants : « Ce n’est pas moi qui vous ai donné l’esprit et l’âme, mais Dieu qui a fait toutes choses[3]. » Ces passages de l’Écriture tranchaient la question de l’origine de l’âme, au dire de Victor ; mais Augustin lui répétait qu’il ne s’agissait pas de savoir qui était le créateur de l’âme humaine, mais comment elle se formait. Était-ce parle moyen de la propagation ? était-ce par un nouveau souffle ? Augustin avoue son ignorance ; il invite Victor à imiter la mère des Macchabées, qui reconnaissait ignorer comment Dieu avait animé les enfants engendrés dans ses flancs.

Comme Augustin est bon et paternel lorsque, ne gardant nul souvenir des injures reçues, il exhorte Victor à se corriger ! Il ne veut pas que Victor se méprise lui-même et qu’il compte pour peu son esprit et son talent d’écrire : le jeune homme ne doit ni trop s’abaisser ni trop s’élever : « Oh ! plût à Dieu, lui dit Augustin, que je pusse lire vos écrits avec vous, et vous indiquer vos erreurs dans un entretien ! Une conversation entre nous terminerait cette affaire plus facilement que des lettres[4]. » Il faut que Victor rejette les erreurs qu’Augus-

  1. Isaïe, XLII, V.
  2. Zacharie, xii, 1.
  3. Zacharie, 7.
  4. De l’âme et de son origine, livre III, chap. 14.