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histoire de saint augustin.

pas ici des preuves tirées du fond de la nature humaine ; c’est seulement une manifeste contradiction des pélagiens que nous avons voulu signaler.

Les deux livres des Mariages adultères, écrits à la fin de 419, soulèvent des questions de théologie morale dont nous avons peu à nous occuper ; un intérêt plus général, plus élevé, s’attache aux quatre livres sur l’Âme et son origine, composés dans le dernier mois de 419 et au commencement de 420.

Rien ne touche l’homme comme de chercher à connaître d’où vient cette âme qui fait sa dignité et sa gloire ; quelle est sa nature et de quelle manière s’accomplit, à chaque moment et sur tous les points du globe, la perpétuelle succession des intelligences, admirable et merveilleuse chaîne dont tous les anneaux composent le tableau de l’humanité se déroulant sous l’œil de Dieu. Étonnant contraste ! on a pu pénétrer les secrets des cieux, de la terre et des mers, et l’on n’a point pénétré le secret de ce qui est en nous ! nous savons les voyages des astres et leur infaillible retour sur un point de l’espace ; nous savons pourquoi les jours font place aux nuits, pourquoi l’Océan balance éternellement ses eaux ; nous avons reconnu l’âge du globe en interrogeant ses entrailles et trouvé l’ensemble des lois qui gouvernent l’univers ; nous connaissons l’origine de la pluie et du vent, de, la foudre et des orages, et nous ne connaissons pas l’origine de cette pensée à l’aide de laquelle nous déterminons les causes et les effets dans le monde extérieur ! Le point de départ, l’indispensable instrument de nos connaissances est un mystère : ainsi la boussole, instrument inexpliqué, agent mystérieux, sert de guide pour aller, à travers l’immensité des flots, découvrir des rivages inconnus, de nouveaux mondes. Il faut que l’orgueil de l’homme soit toujours humilié par quelque point.

Les esprits supérieurs confessent leur ignorance, mais le propre des ignorants et des hommes médiocres, c’est de ne pas savoir douter. Le grand docteur d’Hippone avait plusieurs fois, dans ses écrits, avoué son impuissance à résoudre le problème de l’origine de l’âme. Un jeune homme de la Mauritanie Césarienne, probablement des environs de Cartenne, passé récemment du parti des rogatistes à la communion catholique, fut étonné qu’un homme comme Augustin gardât des doutes sur cette question dont la solution lui paraissait entièrement facile ; Augustin perdait beaucoup dans son esprit pour une telle hésitation ; le jeune Africain eut donc l’idée d’éclairer l’évêque d’Hippone, et même de rectifier ce qu’il appelait ses erreurs sur la nature de l’âme. Vincent Victor[1] (c’était le nom du philosophe novice) avait trouvé chez un prêtre espagnol, appelé Pierre, un des ouvrages où Augustin exposait ses incertitudes sur la question : c’est à ce prêtre espagnol qu’il adressa deux livres dirigés contre le grand évêque. Il paraît que Vincent Victor obtint auprès de Pierre un très-grand succès ; à mesure que le jeune homme lui lisait son écrit, le prêtre espagnol se laissait aller à tous les ravissements de la joie ; dans son enthousiasme, Pierre lui baisa le front, le remerciant de lui avoir révélé ce qui jusque-là avait été caché à son entendement. Un ami d’Augustin, le moine René, ayant connu à Césarée les deux livres de Vincent Victor, les fit copier et les envoya à l’évêque d’Hippone ; il les accompagnait d’une lettre pleine d’excuses sur la liberté qu’il prenait ; le moisie René, préoccupé du langage irrespectueux de Vincent Victor, craignait qu’Augustin ne se plaignît d’une communication de cette nature ; il connaissait mal l’humilité et la mansuétude de ce grand homme ! C’est durant l’été de 419 que les deux livres de Vincent Victor parvinrent à Hippone ; Augustin, alors absent, ne les reçut qu’à la fin de l’automne.

Il semble qu’Augustin, avec son âge, ses grands et continuels travaux, sa position si haute et si glorieuse, pouvait se dispenser de répondre à un jeune homme qui le traitait avec tant de légèreté ; mais Augustin, oubliant tout d’abord ce qui lui était personnel dans la question, avait uniquement songé à ramener une intelligence à la vérité. Cette vive espérance religieuse avait pris la place de tous les sentiments humains. L’évêque d’Hippone composa donc quatre livres en réponse à Vincent Victor : le premier, adressé au moine René, le second au prêtre espagnol Pierre, les deux derniers à Victor lui-même. Comme les mêmes sujets et quelquefois les mêmes idées reviennent dans chacun de ces livres, leur analyse détaillée et successive ne conviendrait point ; mieux vaut apprécier l’ensemble de l’ouvrage.

Il faut d’abord admirer la charité d’Augustin,

  1. Victor avait pris le surnom de Vincent à cause de son admiration pour Vincent, chef du parti des Rogatistes après Rogat.