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histoire de saint augustin.

lique la Restituée, avait parlé des récents prodiges de Jérusalem ; il nous apprend qu’une foule, moins nombreuse que de coutume, assista à ce sermon, parce qu’il prêcha un jour de spectacle.

Les préoccupations des chefs et des pasteurs étaient l’expression des sentiments populaires. Hésichius, évêque de Salone en Dalmatie, regardait comme prochaine la dernière journée du monde ; il pensa que nul, mieux que le grand Augustin, ne pouvait l’éclairer sur ce point, et lui soumit divers passages des prophètes, qui semblaient justifier ses pressentiments. L’évêque d’Hippone[1] envoya à Hésichius l’explication que saint Jérôme avait donnée de ces passages ; les paroles des prophètes, et surtout les soixante et douze semaines de Daniel, lui paraissaient ne devoir s’appliquer qu’aux âges déjà écoulés. Le docteur africain n’osait entreprendre de marquer l’époque du dernier avènement de Jésus-Christ ; selon lui, aucun prophète n’en a fixé le terme ; on doit s’en tenir à cette parole de Jésus-Christ lui-même : Nul ne peut savoir les temps que le Père a réservés à son souverain pouvoir. « Ce qu’il y a de certain, dit Augustin, c’est qu’auparavant l’Évangile sera prêché au monde entier pour servir de témoignage à toutes les nations. Si des serviteurs de Dieu entreprenaient de parcourir toute la terre pour savoir combien il reste encore de nations à évangéliser, et s’ils venaient à bout de le savoir, peut-être, sur leur rapport, pourrions-nous apprendre quelque chose de la fin du monde ; mais tant de contrées inaccessibles ne permettraient pas l’exécution d’un pareil dessein, et l’Ecriture elle-même ne permet pas de rien connaître sur l’époque où le monde disparaîtra. On dira peut-être, ajoute Augustin, que la rapidité de la propagation de l’Évangile dans l’empire romain et chez les Barbares, ferait croire à une prompte propagation dans le reste de l’univers, de manière que si nous ne pouvons voir toutes les nations évangélisées, nous qui sommes vieux, nos jeunes contemporains le verront quand ils parviendront à la vieillesse. Mais autant cela serait facile à comprendre si l’expérience le montrait, autant, avant l’événement, cela serait difficile à trouver dans l’Ecriture. »

Augustin s’était tenu sur cette question dans une réserve extrême ; il avait avoué son ignorance, priant l’évêque de Salone de lui transmettre ses réflexions nouvelles à ce sujet. C’est ce que fit Hésichius ; il s’attacha à montrer que les prophétiques paroles de l’Ecriture pouvaient aider les fidèles à connaître la fin du monde, et que les calamités du temps réalisaient les signes marqués dans l’Évangile. Cette lettre de l’évêque dalmate donna lieu à une réponse[2] d’Augustin, écrite au commencement de 119, et qui forme comme un livre sur la question. Le grand évêque, planant sur les préjugés et les interprétations vulgaires, ne trouve dans son temps aucun caractère particulier qui doive annoncer les approches du second avènement du Sauveur ; les malheurs dont le monde a été frappé ne surpassent point en horreurs les malheurs d’autres époques. Il est bon d’attendre le dernier jour, de veiller et de prier, car le dernier jour du monde trouvera chacun dans le même état où le dernier jour de sa vie l’aura trouvé ; mais c’est en vain qu’on s’efforcerait d’en connaître l’époque précise ; comment espérer de savoir ce que Jésus-Christ a voulu cacher à ses apôtres eux-mêmes ? Et comment croire que les prophètes aient annoncé la fin du monde, puisque les apôtres ne sont point parvenus à le comprendre ? Le signe évangélique le moins douteux, le plus frappant, c’est la propagation de la divine parole dans tout l’univers ; or, dit Augustin, nous sommes loin de là, et notre Afrique elle-même renferme un grand nombre de peuplades qui n’ont point encore entendu parler de Jésus-Christ. Lorsque saint Jean l’évangéliste disait : Mes enfants, nous voici à la dernière heure, il enseignait qu’on était entré dans les derniers temps Augustin a plus d’une fois appelé le christianisme le dernier âge du monde, et Bossuet l’a répété après lui.

C’est ainsi que l’évêque d’Hippone refusait d’enfermer les destinées du genre humain dans un petit nombre de siècles ; il est écrit que mille ans ne sont devant Dieu que comme un jour, et, en regard de l’éternité, la ruine du monde sera toujours marquée pour un terme bien prochain. À l’époque d’Augustin, il y avait déjà près de quatre siècles que le disciple bien-aimé avait parlé de la dernière heure ; quatorze siècles sont passés depuis qu’Augustin parlait des derniers temps, et l’humanité marche encore ! Depuis ce temps, Dieu n’a cessé d’envoyer ses anges, c’est-à-dire les prédicateurs de

  1. lettre 197.
  2. Lettre 199.