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histoire de saint augustin.

Bossuet a plus d’une fois répété cette parole d’Augustin, tirée d’un de ses sermons[1] : « Croyons, lorsque c’est le temps de la foi, avant qu’arrive le temps de la claire vision. Ce temps de la foi est laborieux : qui le nie ? Mais c’est au travail qu’est attachée la récompense. »

Dans une des instructions du docteur, l’assoupissement de la foi est représenté par le sommeil de Jésus-Christ sur le lac Galiléen, troublé par une tempête. La barque était en danger sur le lac, et Jésus dormait. Nous sommes comme des navigateurs sur un lac où les vents orageux soufflent souvent. Les dangers quotidiens du siècle menacent d’engloutir notre barque ; d’où vient cela, si ce n’est que Jésus dort ? c’est-à-dire que notre foi est endormie, et, durant ce sommeil, la tempête bouleverse le lac. Les méchants prospèrent, les bons sont dans un rude travail ; c’est une tentation, une vague, et notre âme dit : Ô Dieu ! est-ce là votre justice ? Et Dieu vous répond : Est-ce là votre foi ? Sont-ce là les promesses que je vous ai faites ? Êtes-vous chrétiens pour les biens de ce monde ?… Réveillez Jésus, et dites-lui : Maître, nous périssons, les écueils nous épouvantent, nous périssons. Il se réveillera, votre foi reprendra la vie, et vous comprendrez que ce qui est donné aux méchants ne demeurera pas toujours avec eux. Cette tempête ne brisera plus votre cœur, les flots ne couvriront plus votre barque, et votre foi commandera aux vents et à la mer.

Nous n’avons pas regret à cette halte faite autour de la chaire de l’évêque d’Hippone. Une immense charité anime son éloquence, et l’imagination colore l’abondance des idées. Une foi aussi profonde nous fait sentir un autre univers. On est là tour à tour comme sous les feux du Sinaï et du Cénacle ; Augustin, dans son énergie séraphique, semble vouloir soulever le monde pour l’arracher aux influences grossières et le porter aux pieds de Dieu.

Terminons par quelques mots sur l’éloquence des Pères au quatrième et au cinquième siècles.

Le mauvais goût était arrivé avec les malheurs dans l’empire romain ; la langue latine souffrit sous les coups des Barbares comme la société elle-même ; elle eut sa part des ravages et de la dévastation ; la langue de Virgile et de Cicéron se trouva livrée aux antithèses et à l’enflure, aux pointes et aux jeux de mots, Une décadence littéraire qui datait de plus loin l’avait rendue trop accessible à cette invasion, comme la décadence des mœurs et des courages avait préparé le monde romain à subir la domination des sauvages enfants du Nord. Avant le siècle d’Augustin, les travaux des grands hommes chrétiens n’appartiennent pas au beau langage ; on a reproché à Tertullien ses métaphores dures et entortillées au milieu de la sublimité de ses pensées et de ses sentiments ; à saint Cyprien, de l’affectation et un luxe d’ornements au milieu des flots d’éloquence qui s’échappent de sa grande âme, Les auteurs profanes des mêmes époques sont bien loin d’avoir un style plus parfait. Si donc les jeux d’esprit abondent dans les écrits ou les discours de saint Augustin, c’est que le génie de son temps était ainsi[2], et si les jeux d’esprit sont plus fréquents dans les œuvres de l’évêque d’Hippone que dans les œuvres de saint Ambroise ou de saint Jérôme, c’est qu’il était doué d’une plus vive intelligence, d’une nature plus subtile. Quant aux Pères Grecs de cette époque, ils sont plus près du bon goût, parce que la langue grecque gardait mieux sa pureté que la langue latine. Saint Jean Chrysostome est un plus grand orateur que saint Augustin, saint Basile a plus de charme et de poésie dans la parole, saint Grégoire de Nazianze a plus d’éclat ; mais l’évêque d’Hippone est plus touchant et plus persuasif que tous ces grands hommes-là.

Y a-t-il une parole humaine supérieure à celle qui sait le mieux remuer et persuader ?

  1. Sermon. 38.
  2. Fénelon, dans ses Dialogues sur l’Éloquence, a apprécié l’éloquence de saint Augustin.