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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

principe chrétien qui ordonne d’abord de croire lui paraissait conforme à beaucoup de choses humaines universellement acceptées.

Un jour, qu’il se préparait à prononcer un panégyrique de l’empereur, qui devait être pour lui une occasion de débiter beaucoup de mensonges, l’esprit tourmenté d’une fièvre brûlante, il traversait avec quelques amis une rue de Milan ; il aperçut un pauvre mendiant qui, après avoir bu plus qu’il ne fallait, s’égayait et se divertissait de manière à paraître l’homme le plus heureux du monde. Augustin faisait observer à ses amis que le but de tant de pénibles travaux auxquels il se livrait, c’était d’arriver à une joie sans mélange comme celle du mendiant qui avait acheté une félicité passagère au prix de quelques petites pièces de monnaie obtenues de la charité publique. Augustin répétait à ses amis qu’il ne trouvait que trouble, fatigue, déception et misère dans son état ; il aimait surtout à verser son ennui dans les cœurs d’Alype et de Nébride ; ce dernier, originaire de Carthage, avait quitté son pays, ses biens et sa mère, pour aller à Milan vivre avec Augustin, et chercher avec lui la vérité et la sagesse.

Augustin et ses amis, au nombre de neuf, formèrent le projet d’une vie commune, afin de mieux s’adonner à la philosophie. Le riche Romanien entrait dans ce dessein ; mais plusieurs de ces jeunes gens étaient mariés, les autres désiraient prendre femme, et la difficulté de placer les femmes dans l’association philosophique fit évanouir ce plan.

En 385, au milieu de ses derniers efforts pour atteindre la vérité, Augustin aimait encore la terre ; son penchant pour le mariage et pour la gloire du monde lui restait au cœur ; il voulait arriver à ces deux choses, et après cela il aurait vogué à pleines voiles et de toute l’étendue de ses forces vers le port assuré pour s’y tenir en repos[1]. Le mariage et l’étude de la sagesse ne lui semblaient pas incompatibles. Il songea donc à se marier ; on éloigna la femme à laquelle il demeurait attaché depuis plusieurs années, et qui était un obstacle à l’union projetée avec une jeune fille non encore nubile. L’ancienne amie d’Augustin reprit le chemin de l’Afrique, laissant auprès de lui Adéodat, le fils né d’un commerce illégitime ; elle se consacra à Dieu et fit vœu de passer dans la continence le reste de ses jours. Quant à Augustin, il avait encore deux ans à attendre pour que sa fiancée fût en âge de se marier ; ce temps lui parut long ; il forma avec une autre femme une liaison nouvelle : c’était le dernier triomphe de la terre dans ce cœur où Dieu allait bientôt établir définitivement son empire !

Son esprit avait accepté les principales vérités de la religion catholique ; mais la question de l’origine du mal était un abîme où il se perdait toujours. Il ne tenait plus compte des deux principes des manichéens, et disait avec Nébride : Si Dieu est incorruptible et inviolable, c’est-à-dire s’il est Dieu, le mauvais principe ne peut rien contre lui, ne peut pas lui nuire ; et si le mauvais principe est impuissant à nuire à Dieu, il est absurde de supposer un combat, un duel éternel. — L’argument était sans réplique. Le manichéisme n’avait plus prise sur Augustin ; mais convaincre de fausseté le manichéisme, ce n’était pas encore trouver la vérité. Son intelligence souffrait d’horribles tourments dans l’enfantement du vrai ; les angoisses qu’il laissait entrevoir à ses plus intimes amis étaient à peine comme l’ombre des réalités désolantes qui le déchiraient. Son âme roulait en de sombres tempêtes.

Le cours de rhétorique lui prenait ses matinées ; il n’avait ni le temps de lire ce qu’il croyait de nature à éclairer son entendement, ni argent pour acheter les livres, ni amis qui pussent les lui prêter. Enfin il lut Platon dans une traduction latine de Victorin, professeur de rhétorique à Rome, et, sur les ailes de ce beau génie, il s’élança vers les régions purement spirituelles qu’il avait tant de peine à comprendre, et dans ces hauteurs éternelles où se déploie la nature infinie de Dieu. Le spiritualisme lui était enseigné en même temps dans les sermons de saint Ambroise et dans les discours de Manlius Théodorus qui fut consul en 399. Les livres des platoniciens préparaient Augustin à la connaissance de l’Évangile.

Enfin, de degré en degré il arrive à la vérité, à ce qui est. Il reconnaît que tout ce que Dieu a fait est bon. Il n’y a rien dans l’univers qui soit mauvais de sa nature. Le faux n’existe pas. Le faux n’est autre chose que notre ignorance, ou plutôt le faux, c’est la chose dont nous disons qu’elle est lorsqu’elle n’est pas. Le péché n’est pas une substance, mais la volonté déréglée d’une âme qui s’éloigne de Dieu. Toutes ces vérités saisirent fortement l’esprit d’Augustin. Il reconnut et aima les invisibles beautés du

  1. Livre de la Vie bienheureuse.