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histoire de saint augustin.

et mou ; mais dès qu’on l’a tiré des flots, au premier souffle du vent, il durcit comme la pierre et revêt ces belles couleurs purpurines qui font tout son prix. Il en fut de même d’Augustin, aussitôt que la divine volonté l’eut tiré de la mer de ce monde. À partir de ce moment, son génie reçut une rare énergie et déploya des richesses qui firent, l’admiration des contemporains. L’amour du bien, le désir d’éclairer les hommes se changèrent dans son âme en violentes passions ; ce besoin d’instruire et de rendre meilleurs ses frères éclate surtout dans les nombreux discours adressés par Augustin au troupeau confié à sa vigilance.

Ne nous lassons donc point de recueillir quelques-unes des plus remarquables paroles tombées de la bouche d’Augustin, quand il ouvrait son âme : aux multitudes rassemblées dans les basiliques.

Les premiers fidèles sur qui descendit le Paraclet reçurent le don des langues. — Si l’Esprit-Saint est encore donné aujourd’hui, pourquoi personne ne parle-t-il plus les langues de toutes les nations ? — Pourquoi ? répond l’évêque d’Hippone : parce que ce qui était signifié par le don des langues est maintenant accompli. Au premier temps toute l’Église était renfermée dans la seule maison où se réunirent les disciples. Composée d’un petit nombre d’hommes, mais riche des dons de l’Esprit-Saint, elle possédait déjà toutes les langues de l’univers ; mais cette Église si petite, parlant les langues de tous les peuples, n’est-ce pas cette même Église étendue maintenant du couchant à l’aurore, et qui parle toujours les langues de tous les peuples[1] ?

Que personne donc, ajoute Augustin, ne dise Si j’ai reçu l’Esprit-Saint, pourquoi ne parlé je pas les langues de toutes les, nations ? L’Esprit qui donne la vie à chacun de nous s’appelle l’âme, et vous voyez ce que l’âme[2] fait dans le corps ; elle met la vie dans tous les membres. Par les yeux, elle voit ; par les oreilles, elle entend ; par les narines, elle sent ; par la langue, elle parle ; par les mains, elle travaille ; par les pieds, elle, marche. ; elle est présente en tous les membres pour qu’ils vivent, elle donne à tous la vie, et à chacun son, emploi. L’œil n’entend point, l’oreille ne voit point, et ni l’oreille ni l’œil ne parlent, et cependant tout vit, les fonctions sont partagées, la vie est commune. Ainsi est l’Église de Dieu. Dans quelques-uns des saints elle fait des miracles, dans d’autres elle prêche la vérité : dans ceux-ci elle garde la virginité, dans ceux-là la chasteté conjugale ; les œuvres sont diverses selon la diversité des sujets. Chacun a son travail particulier, mais tous participent à la même vie, Ce qu’est l’âme au corps humain, l’Esprit-Saint l’est au corps de Jésus-Christ, qui est l’Église, Ce que l’âme fait dans un seul corps, l’Esprit-Saint le fait dans toute l’Église. Or, voyez ce que vous devez éviter, observer et craindre. Dans le corps humain, il arrive que, l’on coupe un membre, une main, un doigt, un pied ; est-ce que l’âme suit le, membre coupé ? Lorsqu’il tenait au corps, il vivait ; il est coupé, il perd la vie. Ainsi le chrétien, tarit qu’il puise sa vie dans le corps, est catholique ; est-il coupé ? il devient hérétique : l’Esprit ne suit pas le membre coupé.

Le divin Maître, prêt à quitter ses disciples, leur disait : « J’aurais encore beaucoup d’autres choses à vous apprendre, mais vous ne seriez pas capables de les entendre présentement. » Dans la science de la religion, dit le docteur africain[3], ce que nous lisons ou écrivons, ce que nous prêchons ou entendons, de quelque profondeur que ce soit, si Jésus-Christ voulait nous le dire comme il le dit aux anges dans l’essence du Verbe, fils unique du Père, co-éternel au Père, nul homme, ne pourrait le porter, quand même il serait aussi spirituel que le furent les apôtres après la descente du Paraclet. Et, en effet, tout ce que la créature peut savoir est moindre que le Créateur, Dieu véritable, souverain et immuable. Et pourtant qui donc ne parle pas de Dieu ? Son nom se trouve placé dans les lectures, dans les discussions, dans les conférences, dans les éloges, dans les chants, et même jusque dans les blasphèmes. Tout le monde parle de Dieu ; et quel est celui qui le connaît comme il faut ? Quel est celui qui tourne vers celui toute la plénitude de son esprit ? Il est Trinité, et qui l’eût soupçonné s’il n’avait voulu, le faire connaître ? Et quoiqu’on le sache, quel est celui qui le sait comme les anges ? et tout ce qui se répète su cesse sur l’éternité, la vérité, la sainteté de Dieu, les uns le comprennent bien, les autres

  1. sermon 267.
  2. Dans beaucoup de ses ouvrages, saint Augustin définit l’homme : une intelligence ou une âme servie par un corps. La célèbre définition de M. de Bonald n’était que la reproduction d’une pensée de l’évêque d’Hippone.
  3. In Joan., XCVIII