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chapitre quarante-unième.

menter sur la perte de ce grain ; s’il gémissait en songeant que ce blé est enfoui, et s’il attachait des yeux pleins de larmes sur les sillons qui le couvrent, vous, plus instruit que lui, n’auriez-vous pas pitié de son ignorance ? ne lui diriez-vous pas : Plus d’inquiétudes ; ce que vous avez enseveli n’est plus dans le grenier, n’est plus entre vos mains ; mais encore quelques jours, et ce champ que vous trouvez si aride sera couvert d’une abondante moisson, et vous serez plein de joie de la voir, comme nous qui, sachant ce qui va arriver, sommes pleins de joie dans cette espérance.

« Mais les moissons se voient chaque année, tandis que celle du genre humain n’aura lieu qu’une fois, et encore à la fin des siècles ; nous ne pouvons donc pas vous la montrer. Mais l’exemple nous a été donné d’un grain principal : le Seigneur, parlant lui-même de sa mort future, a dit : Si le grain demeure ainsi, et s’il ne meurt pas, il ne se multiplie point. C’est l’exemple d’un seul grain, mais il est si grand que tous doivent y avoir foi. D’ailleurs, toute créature, si nous voulons l’entendre, nous parle de la résurrection, et ces exemples quotidiens doivent nous faire connaître ce que Dieu fera aussi de tout le genre humain. La résurrection des morts n’aura lieu qu’une fois, mais le sommeil et le réveil de tout ce qui respire ont lieu tous les jours, et nous trouvons dans le sommeil l’image de la mort, et dans le réveil l’image de la résurrection. Et, d’après ce qui se fait tous les jours, croyez ce qui se fera une fois. Comment tombent et repoussent les branches des arbres ? où vont-elles quand elles sont tombées ? d’où sortent-elles quand elles poussent ? Voilà l’hiver : tous les arbres se dessèchent et semblent morts ; mais le printemps vient, et tous vont se couvrir de feuilles. Est-ce la première fois que ce phénomène arrive ? Non, il est arrivé également l’année dernière. L’année va donc et revient, et les hommes, créés à l’image de Dieu, une fois morts ne reviendraient pas ! »

Écoutons Augustin parler des dogmes chrétiens depuis la naissance du Sauveur du monde jusqu’à sa mort.

Le Christ, Verbe éternel, a voulu naître d’une mère vierge. Si vous demandez que je vous l’explique, ce ne sera plus un mystère ; si vous en cherchez des exemples, ce ne sera plus une chose unique[1]. Qui pourrait comprendre une chose si nouvelle, si incroyable, et dont la foi cependant est dans tout l’univers[2] ? Le Christ homme, voilà l’honneur de l’homme ; mais il reçoit son corps d’une mère, voilà la gloire de la femme. Il eut pour vêtement des haillons, pour berceau une crèche ; il remplissait le monde et ne trouva pas de place dans une hôtellerie. Celui qui portait l’univers était caché entre le bœuf et l’âne.

Le divin enfant de la Judée a des bergers pour premiers adorateurs ; ensuite, des étrangers, des mages viennent lui apporter l’encens et la myrrhe. La bonne nouvelle est annoncée aux uns par des anges, aux autres par une étoile[3] ; tous l’apprennent du ciel ; les juifs et les gentils se trouvent ainsi convoqués dans une pensée d’unité et de paix. Les mages reconnurent le Messie dans un petit enfant pauvre et sans parole ; les juifs, qui entendirent ses divins enseignements, le maltraitèrent ; les mages adorèrent Jésus dans sa faiblesse, les juifs le crucifièrent dans l’éclat de sa puissance. Était-ce une plus grande chose de voir briller une étoile à sa naissance que de voir le soleil se voiler à sa mort ? Si l’étoile se coucha quand les mages entrèrent à Jérusalem, c’était pour que leurs questions obligeassent les juifs de reconnaître le témoignage des Écritures.

En se faisant homme, le Verbe éternel n’a pas plus changé qu’un homme qui prend un vêtement ; il ne devient pas vêtement : mais il demeure toujours le même[4]. Si un sénateur, ne pouvant entrer en habit de sénateur dans une prison où il voulait aller consoler un malheureux esclave, prend un habit d’esclave, il paraît vil à l’extérieur, mais il conserve toujours sa dignité, et cette dignité est d’autant plus relevée, que le libérateur a voulu s’abaisser pour une plus grande miséricorde.

Naître, travailler et mourir, voilà les fruits que produit cette terre, voilà aussi ce que Jésus-Christ a trouvé au milieu des hommes. Qu’a-t-il donné en échange ? renaître, ressusciter, vivre éternellement.

Jésus-Christ veut que nous l’imitions. Est-ce dans les grandeurs et la puissance de sa divinité[5] ? Nous oblige-t-il à gouverner comme lui le ciel et la terre, à créer un second univers ? Il ne nous dit point : Si vous voulez être mes disciples, marchez sur la mer, ressuscitez

  1. Sermon 13.
  2. Sermon 190.
  3. Sermon 199.
  4. Sermon 264.
  5. Enarr. ps. XC.