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histoire de saint augustin.

mettez qu’un homme soit appelé à atteindre jusqu’à la quatre-vingtième année ; chaque jour qui s’écoule est autant de retranché de sa vie. O prudence humaine ! Si le vin diminue dans l’amphore, on est mécontent ; les jours s’en vont, et on se réjouit ! on dirait que plus les jours sont mauvais, plus on les aime.

La vie ou plutôt la mortalité de cette vie, dit Augustin[1], passe comme un fleuve. Voyez toutes choses ; elles passent et sont remplacées par d’autres qui passent aussi. La foi religieuse aide à franchir le fleuve sans péril. Au delà du fleuve, plus rien ne sera entraîné ; il n’y aura plus de mortalité, il y aura la vie. Augustin[2] ne voit pas sans tristesse comment le mouvement et la vie se retirent d’un corps d’où l’âme est absente ; un homme marchait dans la liberté de sa force, et le voilà étendu raide ; il parlait, et ses froides lèvres sont muettes ; ses yeux ne reçoivent plus la lumière, ses oreilles n’entendent plus aucun bruit. Les pieds ne sont plus poussés à la marche, les mains au travail, les sens à l’exercice de leurs facultés. Ce corps immobile est comme une maison dont je ne sais quel habitant faisait l’ornement et la gloire : il est parti, et ce qui reste est une chose lamentable à voir !

L’évêque d’Hippone[3] nomme le péché comme père de la mort, et ne voit sur la terre qu’une seule chose certaine, la mort. Tout est caché dans les ténèbres du lendemain. Mais nous sommes nés, et il est bien certain que nous mourrons, et même dans la mort il est quelque chose d’incertain, c’est le jour de son arrivée ; nous ne savons pas où nous serons quand le maître de la maison nous dira : Partez.

On fait un testament avant de mourir, on est inquiet pour ce qu’on laisse, et on ne s’inquiète pas pour soi-même. Vos enfants auront tout, et vous, rien. Votre pensée se sera consumée à rendre facile la route à ceux qui viennent après vous[4], et vous ne vous préoccupez pas du lieu où vous arriverez vous-mêmes. Les hommes ne pensent à la mort qu’au moment où ils voient porter un cadavre en terre. Alors on dit : « Hélas ! c’est un tel ; hier il marchait encore ; il n’y a qu’une semaine que je l’ai vu, il m’a parlé de telle affaire ; « comme c’est malheureux ! l’homme n’est donc rien ici-bas ! » Voilà ce qu’on dit pendant qu’on pleure encore ce mort, pendant qu’on prépare sa sépulture, durant la marche du convoi et lorsqu’on le descend dans la fosse Mais une fois le mort enseveli, toutes ces pensées sont aussi ensevelies. Et l’on recommence à s’occuper d’affaires, et l’héritier oublie cela qu’il vient d’accompagner à la tombe et calcule les produits de son héritage. Cependant lui aussi doit mourir, et voilà qu’il recommence fraudes, rapines et parjures pour obtenir de plaisirs qui périssent pendant même qu’on les goûte : et ce qui est plus triste, on tire de la sépulture d’un mort un argument pour ensevelir son âme : Mangeons et buvons, dit-on, car nous mourrons demain. La pensée de l’immortalité vient adoucir ces lugubres images du sépulcre. Augustin rappelle que saint Paul appelle les morts ceux qui dorment, pour annoncer le réveil, c’est-à-dire la résurrection.

On entend quelquefois traiter d’insensés ceux qui croient à la résurrection des morts. Qui est revenu du tombeau, disent les incroyants, qui est venu nous dire ce qu’on fait dans les enfers ? Ai-je jamais entendu la voix de mes frères, de mon aïeul, de mes ancêtres ?… Malheureux que vous êtes, dit Augustin[5], vous croiriez si votre père ressuscitait et, après la résurrection du Seigneur de tous vous ne croyez pas ! et que ferait votre Or s’il ressuscitait et venait vous parler pour rentrer bientôt dans la mort ? Voilà bien mieux ici : regardez avec quelle puissance Jésus Christ est ressuscité, puisqu’il ne meurt pas puisque la mort n’aura plus d’empire sur lui Les disciples et les fidèles ont pu le voir et le toucher ; ils ont ainsi confirmé leur foi pou la porter ensuite devant les hommes. Si vous nous prenez pour des imposteurs, interroge toute la terre : partout le christianisme donne la vie au monde ; ceux-là mêmes qui n’ont pas encore cru en Jésus-Christ n’osent attaquer la vérité de la résurrection. Témoignage dans ciel, témoignage sur la terre, témoignage de anges, témoignage des enfers : il n’est pas un voix qui ne crie que Jésus-Christ est ressuscité

Voici qui est doux, ingénieux, poétique[6] : « Une personne que vous aimez a cessé vivre, vous n’entendez plus sa voix ; elle ne mêle plus aux joies des vivants, et vous, vous pleurez. Pleurez-vous aussi sur la semence lorsque vous l’avez jetée dans la terre ? Sil homme, ne sachant rien de ce qui doit arriver quand on confie le grain à la terre, allait se la-

  1. Enarr. in Ps. LXV, 2.
  2. Sermon 173.
  3. Enarr. Ps. XXXVIII.
  4. Sermon 361.
  5. Sermon 361.
  6. Sermon 361.