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chapitre quarante-unième.

terre trop indigne. Ce n’est plus un homme de génie qui enseigne, c’est un ami qui veut éclairer et rendre meilleur des amis rangés autour de lui. « J’aime mieux, disait-il, que les grammairiens me reprennent que si les peuples ne me comprenaient point[1]. » Lorsqu’Augustin s’élève, c’est son sujet qui l’élève et non pas son génie, pareil à la vague de la mer, portant parfois jusqu’aux cieux l’homme dont elle est devenue le coursier.

En lisant les sermons ou homélies du grand évêque, nous ne comprendrons jamais les prodigieux effets qu’ils ont produits si, dans notre pensée, nous les séparons du ton et des larmes d’Augustin. Jamais âme ne fut plus féconde en émotions, et nul plus qu’Augustin ne connut les chemins du cœur. Si tout l’art oratoire se réduit à la puissance d’instruire et de toucher, il posséda cet art dans sa plus merveilleuse étendue, car son langage était toujours solide, et Dieu avait mis sur ses lèvres une grâce persuasive à laquelle on ne résistait pas. Il y a dans une sensibilité profonde des ressources infinies pour remuer un auditoire. Le son de la voix d’Augustin, les pleurs qui s’échappaient de ses yeux, les trésors de son amour et de sa compassion, attendrissaient et subjuguaient les assistants. Les larmes, que ce grand homme appelle le sang du cœur[2], avaient chez lui une éloquence qui pénétrait jusqu’aux entrailles. C’est surtout quand il parlait des pauvres qu’il était touchant ; il tirait alors du fond de son âme des accents qui amollissaient les cœurs les plus durs.

Les discours de saint Augustin ont des redites et des longueurs, dont on peut aisément se rendre compte. L’évêque d’Hippone méditait son sujet à l’avance, mais n’écrivait pas ses sermons. Il se réservait ainsi de répéter et d’éclaircir des vérités jusqu’à ce qu’il reconnût que son auditoire le comprenait tout à fait. Augustin a remarqué lui-même que les prédicateurs qui apprennent leurs sermons mot à mot se privent d’un grand fruit.

Ce docteur, qui, dans ses prédications, négligeait la rhétorique et les beautés du langage, savait pourtant tous les secrets de frapper les intelligences avec les moyens humains, et les chaires de Carthage, de Rome et de Milan n’avaient point oublié ses leçons. Il ne s’abandonnait à son génie que lorsqu’il prêchait dans cette ville de Carthage, surnommée au deuxième siècle la Muse de l’Afrique, lorsqu’il avait devant lui un élégant auditoire accoutumé à l’éclat de la parole. Partout ailleurs et surtout dans sa chère Hippone, peuplée de marins et de grossiers travailleurs, Augustin demeurait simple et ne s’occupait que d’être compris. Il règne dans le volumineux recueil de ses sermons une variété de tons qui révèle une prodigieuse souplesse. Le langage d’Augustin prédicateur parcourt en quelque sorte tous les degrés de l’échelle des intelligences.

Ouvrons le volume des œuvres d’Augustin renfermant les discours ou instructions sortis de cette bouche qui ne demeurait jamais muette, et faisons entendre quelque faible écho de la voix dont retentirent les basiliques d’Hippone et de Carthage, de Constantine, de Calame et de Césarée. Tous les siècles peuvent profiter des leçons de religion et de morale. On verra que cette parole toujours simple ne va jamais sans vivacité et sans profondeur. Il nous est impossible de suivre un ordre parfait dans le choix des idées et des enseignements ; nous les recueillons à mesure qu’ils s’offrent à nous, et comme tout se tient dans ces matières, on garde, quoi qu’on fasse, une sorte d’ensemble et d’harmonie.

La fragilité de la vie et le peu qu’elle vaut, la mort vers laquelle nous marchons malgré nous, ont toujours occupé les moralistes. — Augustin[3], s’adressant à un auditoire composé de travailleurs, énumère les fardeaux qui pèsent sur eux : Pour se nourrir, on laboure, on sème, on moissonne, on manipule le grain changé enfarine ; mille tissus sont employés pour se vêtir, et puis on meurt. L’homme voit crouler autour de lui les monuments les plus solides, et ne songe pas qu’il doit mourir. Lorsque arrivent les mauvais jours, on invoque le trépas, on demande à Dieu d’abréger la vie ; et nous nous trompons encore ici nous-mêmes. Si la mort, répondant à notre appel, se présentait et disait : Me voici, oh ! comme nous nous hâterions de la supplier de nous laisser dans cette misérable vie ! Chacun répète que les jours d’ici-bas sont tristes, et nul ne veut en voir la fin ! et pourtant, vivre longtemps, ce n’est pas autre chose que souffrir longtemps. Quand les enfants croissent en âge, on dit que leurs jours deviennent plus nombreux : faux calcul ! leurs jours diminuent. Les jours de l’homme s’en vont et ne viennent pas. Ad-

  1. Enarr. In Ps.
  2. Serm 99.
  3. Sermon 84.